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Après la mort de ce grand politique, qui avait amorti toutes les résistances sans les briser, celles-ci se reproduisirent sous un aspect nouveau. Richelieu eut à livrer contre les races seigneuriales, assistées par les forces que les édits royaux laissaient encore à la disposition des religionnaires, une bataille que l’on peut appeler la dernière. À la féodalité des grands barons atteinte par Philippe-Auguste, par Louis IX et par Philippe le Bel, à celle des apanagistes de sang royal tombés sous les coups ou dans les filets de Louis XI, avait succédé sous les derniers Valois l’aristocratie des grands gouvernemens provinciaux, dont les chefs cumulaient avec les cours souveraines la presque totalité des pouvoirs. Assistés par l’or de l’Espagne, protégés par les places de sûreté dont les herses s’abaissaient devant eux, pourvu qu’ils promissent d’aller au prêche, les grands se trouvèrent encore en mesure de disputer sérieusement le terrain à la royauté. Néanmoins l’œuvre des siècles s’accomplit en dépit de ces résistances. Porté par la main triomphante de Richelieu de la Catalogne aux Pays-Bas espagnols, l’étendard fleurdelisé flotta seul désormais sur la vaste étendue du territoire, où nul prince et nulle commune n’aspirèrent plus à partager avec le seigneur-roi la souveraineté de son domaine héréditaire.

Cependant, lorsque ce ministre mourut, en décembre 1642, quatre mois seulement avant le monarque qui l’avait si longtemps supporté en le détestant toujours, il restait dans la plupart des esprits les plus complètes illusions sur le véritable état des choses. On ne croyait pas la victoire de la royauté aussi entière qu’elle l’était en réalité. L’aristocratie surtout ne soupçonnait pas jusqu’à quel point elle avait été atteinte à toutes les sources de sa puissance, et quoiqu’elle fût malheureusement fort incapable de garder le pouvoir, elle se tenait pour fort assurée de le reprendre. Devant le berceau d’un roi de cinq ans et la perspective d’une longue régence, on considérait comme impossible, même sous des formes mitigées, la continuation du système qui avait prévalu durant vingt années, et qui consistait à concentrer la plénitude des pouvoirs aux mains d’un seul homme investi de la confiance royale. Les orateurs du parlement réduits au silence, et qui n’usaient plus du droit de remontrance de peur de le compromettre ; les princes contraints de solliciter le ministre, et, lorsqu’ils avaient commis des fautes, d’implorer humblement la commisération du souverain ; les conspirateurs enfermés depuis si longtemps dans les prisons d’état, pour entente avec l’étranger ou pour complot contre la vie du cardinal ; les grandes dames exilées du royaume, et qui ne pouvaient plus faire servir leur beauté à l’accroissement de leur fortune ; tout ce monde, plein de passion, de jeunesse et de frivolité, attendait le jour de reprendre ses positions, et