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de nombreux intérêts et de prévenir une réaction à laquelle poussait l’esprit de vengeance stimulé par l’esprit de cupidité. En le faisant, la reine échappait d’un seul coup aux influences qui s’agitaient autour d’elle, et demeurait assurée d’être servie par un ministre qui, à raison même des racines qui lui manquaient en France, ne dépendrait jamais que d’elle-même. On sait qu’elle hésita un moment entre Mazarin et l’évêque de Béarnais, la bête mitrée, stigmatisée par le cardinal de Retz. Lorsqu’à l’impéritie du pauvre prélat qui pour resserrer notre alliance avec les Hollandais proposait de commencer par les convertir à la religion catholique, la reine eut opposé les connaissances diplomatiques du cardinal et toutes les ressources de son esprit, rehaussées par la vivacité méridionale de sa parole, elle se sentit confiante dans son choix ; bientôt après elle en fut heureuse, et un attachement dont la preuve est acquise à l’histoire conduisit cette princesse indolente et passionnée, qui avait eu le mérite de discerner la ligne de ses vrais devoirs, mais qui était fort incapable de la suivre dans les complications de chaque jour, à remettre aveuglément l’exercice de sa puissance à l’homme qui s’empara de son cœur pour ne point s’exposer à le voir occupé par un autre.


III

Quel était l’étranger auquel incombait ainsi la mission de représenter en France l’autorité monarchique et de faire enfin aboutir à la splendide royauté de Louis XIV l’œuvre de la dynastie capétienne ?

Dans l’année 1602, qui vit naître Anne d’Autriche, naissait à Rome Jules Mazarin, d’un gentilhomme sicilien qui avait d’assez grandes propriétés dans les Abruzzes. Sa famille, dévouée à l’Espagne dont elle était sujette, l’y envoya pour compléter ses études, qu’il acheva dans l’université de Salamanque, sous la direction des jésuites. Pourvu à sa rentrée en Italie d’une commission de capitaine dans l’année pontificale, Jules Mazarin fut envoyé dans la Valteline ; il y fit la guerre deux ans, et les généraux d’Urbain VIII eurent occasion d’acquérir des preuves de sa souplesse et de son intelligence dans diverses missions dont ils le chargèrent auprès du duc de Feria, qui commandait les Espagnols, et du maréchal d’Estrées, général de l’armée française. Bientôt après le jeune officier fut envoyé à Turin avec le cardinal Sachetti, chargé d’appuyer par la médiation pontificale les droits que faisait valoir sur le duché de Mantoue et sur le Montferrat le duc de Nevers, protégé par les armes de la France, contre le duc de Guastalla, que l’Espagne et l’empire soutenaient avec des forces imposantes.