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de la pourpre l’homme qui était déjà devenu son sujet[1]. Nommé ambassadeur extraordinaire près du duc de Savoie, puis désigné comme futur plénipotentiaire à Hambourg pour y suivre les négociations projetées avec l’empereur et les princes de l’empire, le cardinal Mazarin entra au conseil avec le litre de ministre d’état, et Richelieu mourant le recommanda à Louis XIII pour travailler de sa main de velours à l’œuvre qu'il avait opérée par sa main de fer.

Mazarin arrivait donc au poste de premier ministre en ne devant rien qu’aux bontés du roi et à sa propre habileté. Il ne pouvait être que l’homme de la royauté. Il se dévoua aux intérêts de sa patrie adoptive avec une sincérité dont son intérêt personnel était le gage ; mais s’il comprenait bien la position extérieure de la France, s’il faisait mouvoir comme les plus fins joueurs toutes les pièces de l’échiquier diplomatique, il ne soupçonnait ni les lois, ni les mœurs, ni les instincts du pays qu’il était appelé à gouverner. Le premier ministre de la France était et demeura un Italien jusqu’à la moelle des os, à ce point que l’opposition constante entre son propre génie et le génie national devint la difficulté permanente de sa carrière, l’origine d’une impopularité qui ne devait s’effacer devant aucun service.

L’étendue de son esprit était fort inférieure à sa sagacité ; il connaissait les mille détours par lesquels on enlace un homme, mais il était ou ignorant ou sceptique touchant ces hautes vues administratives qui préparent la richesse et la grandeur des nations, et que Richelieu poursuivait jusque dans les plus terribles extrémités de la guerre. Tout entier à la pensée du succès, qui se résumait pour lui dans la conservation du pouvoir, il n’avait pas plus la mémoire du bienfait que celle des injures, et le pardon ne lui coûtait guère plus que l’ingratitude. Il n’avait de grandeur ni dans la pensée ni dans l’âme. Il eut toujours de petites vues, même dans ses plus grands projets, dit avec justesse un homme qui fut son ennemi sans devenir son détracteur[2]. Un autre observateur, beaucoup plus suspect, ajoute avec quelque raison que son vilain cœur paraissait toujours au travers de son esprit insinuant et de ses belles manières, « au point que ses qualités eurent dans l’adversité tout l’air du ridicule, et ne perdirent pas dans la prospérité celui de la fourberie[3]. » Avide d’argent autant que du pouvoir, il eut du moins cette habileté, qui devient rare de nos jours, de ne point poursuivre simultanément l’œuvre de son élévation et celle de sa fortune. Dans les premiers temps de la régence, on vit marcher sans faste et s’inclinant devant tous l’homme destiné à voir les princes du sang royal rechercher ses

  1. Les lettres de naturalisation de Mazarin sont du mois de juillet 1639.
  2. Le duc de La Rochefoucauld, Mémoires, année 1643.
  3. Mémoires du cardinal de Retz, livre Ier.