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nièces pour relever, par une portion de son immense fortune, leur patrimoine dissipé dans les longues guerres qu’ils avaient soutenues contre lui. Mazarin d’ailleurs était malheureusement aussi dégagé du côté des principes que du côté des passions. « Il semblait n’estimer aucune vertu ni haïr aucun vice, et ne faisait nulle profession de piété, quoiqu’il ne donnât par aucune action des marques du contraire[1]. »

Tel était l’homme qui, porté d’abord au pouvoir par une inspiration toute politique de la régente, commença le siège de son cœur, afin de s’assurer à tout jamais la domination de son esprit : étrange extrémité de l’ambition qui condamna un prince de l’église à jouer auprès d’une femme de cinquante ans, dont il fallait ménager à la fois la tendresse et les scrupules, le personnage d’un galant de romancero, dont les paroles brûlent le papier, et qui le conduisit, durant son exil, à transformer en tortures amoureuses son empressement à revenir près de la reine pour reprendre l’exercice du pouvoir[2] !

La première question que dut résoudre Mazarin en devenant maître des affaires fut celle de savoir s’il continuerait contre les deux branches de la maison d’Autriche la lutte commencée par Richelieu depuis que ce ministre était intervenu dans la guerre engagée entre l’empereur et les princes de l’empire. La période française de la guerre de trente ans avait commencé en 1634, lorsque, après leur échec à Nordlingue, les Suédois, pour prix du concours actif d’une armée française, eurent abandonné à la France toutes les places fortes qu’ils occupaient en Alsace. Cette terrible guerre avait eu des péripéties fort diverses. L’empereur n’avait pas tardé à reperdre la plupart des avantages qu’il avait conquis après la mort de Gustave-Adolphe et la paix de Prague, signée avec le parti protestant. Weimar, Banier, Torstenson, avaient remplacé l’auguste général, et rempli l’empire de la terreur de leurs noms. Les Français étaient maîtres des deux rives du Rhin et de toutes les places de la Lorraine pendant que leurs alliés écrasaient les impériaux à Leipzig. La guerre frappait d’une manière plus rigoureuse encore la branche espagnole de la maison de Charles-Quint. Le lendemain même du jour où le parlement de Paris déférait à Anne d’Autriche la plénitude de l’autorité royale, le jeune duc d’Enghien inaugurait le nouveau règne en remportant sur les vieilles bandes espagnoles cette homérique victoire de Rocroy, dont Bossuet devait tracer l’immortel bulletin. En Italie,

  1. Mémoires de Mme de Motteville, année 1647.
  2. Voyez les Lettres du cardinal de Mazarin à la reine et à la princesse palatine, écrites pendant sa retraite hors de France en 1651 et 1652 ; 1 vol. in-8o publié par la Société de l’histoire de France, Jules Renouard, 1836.