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et les tavernes de la basoche, en attendant qu’elle passât dans la chambre de saint Louis pour envahir toute la France.

Si la guerre extérieure systématiquement prolongée finit par préparer au cardinal des embarras plus sérieux que ceux dont elle l’avait temporairement délivré, il n’en fut guère autrement de sa conduite à la cour. Celle-ci était calculée sur un principe fort simple : il s’agissait de promettre à tous de manière à ne décourager personne. Cette banale bienveillance, si contraire aux traditions du ministère précédent, eut d’abord un véritable succès ; mais l’obséquieux empressement de Mazarin ne tarda pas à donner à chacun une idée démesurée de sa propre importance et à multiplier les demandes en raison de la facilité qu’on paraissait mettre à les accueillir. Grevé d’un arriéré de promesses impossibles à réaliser, Mazarin eut donc son quart d’heure de Rabelais. Deux influences principales partageaient la cour, où le prince de Condé et le duc d’Orléans élevaient des prétentions qui, lorsqu’elles étaient inconciliables, devenaient pour le ministre une véritable torture. Si le vainqueur de Nordlingue n’avait pas l’avide âpreté de son père, il portait dans ses exigences pour ses serviteurs et pour lui-même l’irrésistible élan du champ de bataille, et sa fierté n’admettait ni un retard ni un obstacle. Il entendait servir la royauté, mais à la condition qu’elle s’humilierait sous sa gloire et sous ses services. Dégagé par son esprit de toute arrière-pensée séditieuse et déloyale, il avait un caractère qui le poussait fortement vers la faction. À le voir si hautain dans ses allures, si impérieux dans ses injonctions, c’était parfois à se demander s’il était plus avantageux de le voir dans les rangs de ses amis que dans ceux de ses adversaires. À la mort du duc de Brézé, il avait notifié, de son quartier-général, qu’il entendait hériter de l’amirauté, qui appartenait à son beau-frère, tardive compensation pour l’alliance inégale imposée par Richelieu à son orgueil. Faire passer cette grande charge à la maison de Condé, qui, outre d’immenses propriétés territoriales, possédait déjà les gouvernemens de Bourgogne, de Provence et du Berry, c’eût été une sorte d’abdication de la couronne. La reine le comprit, et son ministre lui suggéra le singulier expédient de se délivrer à elle-même le brevet de grand-amiral. Cette fois le prince prit le parti d’en rire, moyennant de riches récompenses, comme il se disait alors, qui s’acquittaient aux dépens du public, et dont le fonds paraissait dès lors inépuisable.

Malheureusement la régente ne pouvait pas surmonter sa couronne d’une barette rouge, et il vint un moment, depuis longtemps redouté par le ministre, où un chapeau de cardinal fit éclater la lutte entre les deux influences qu’il avait pris tant de peine à ménager. Quoiqu’il n’eût pas été malheureux dans ses campagnes de Flandre, le