Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/971

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ils entreprennent de grands travaux de ce genre, n’y mettent que l’indispensable. J’ai fait ce rapprochement ailleurs, au sujet de l’aqueduc de New-York ; on peut le faire à l’occasion du magnifique viaduc qui franchit les vallées situées entre Albano et Laricia, viaduc que le gouvernement romain vient de terminer[1]. Au Sœmmering, le chemin de fer, que par d’admirables travaux on est parvenu à faire passer au-dessus d’une montagne, est soutenu par des ponts d’une solidité très suffisante ; mais ces ponts sont en brique, et les piliers sont minces et frêles, comparés aux piliers robustes, en pierres énormes, qui soutiennent l’aqueduc romain. Cependant cet aqueduc n’était pas construit pour porter des wagons chargés de plusieurs milliers, mais seulement un ruisseau. Les Romains eussent pu épargner les matériaux et la dépense, et leurs aqueducs eussent, comme on dit, très bien fonctionné. Les Romains n’ont point fait cette économie ; ils ont taillé de gros blocs de poperino, ils ont dressé des piliers inutilement majestueux, C’est qu’ils ne visaient pas seulement à l’utile, même dans une œuvre dont l’utilité était le but ; ils cherchaient, aussi le beau et le grand. Du reste ceci ne s’applique point à l’aqueduc d’Appuis Claudius : ce n’était qu’un conduit souterrain, quelques arceaux seulement s’élevaient au-dessus du sol. C’est sous l’empire que nous verrons paraître ces immenses arcades bâties, selon la magnifique expression de M. de Chateaubriand, pour apporter aux Romains l’eau sur des arcs de triomphe.

Les ponts étaient encore une des œuvres remarquables du génie romain ; c’était la continuation et le complément des voies. Ils en ont jeté sur le Rhin et sur le Danube. Tous les ponts qui existent à Rome sont construits sur les bases d’un pont antique. Parmi les ponts de l’ancienne Rome, celui qu’Horatius Coclès, à en croire Tite-Live, défendit seul contre les soldats de Porsenna était en bois, comme l’indique son nom, sublicius. Longtemps on en respecta la structure primitive, et il fut toujours en bois durant toute la durée de la république et jusque sous les Antonins ; mais, quand les eaux du Tibre sont basses, on voit encore quelques-unes des assises en pierre qui soutinrent plus tard le plus ancien et le plus célèbre des ponts romains.

Celui qui a succédé au pons Palatinus, et qu’on appelle ponte Rotto, pont brisé, ne mérite que trop son nom, car il fut détruit par les eaux du Tibre et refait plusieurs fois au moyen âge. C’est dommage, il avait aussi son histoire : il rappelait ce que la république romaine eut de plus glorieux et ce que l’empire romain eut de plus infâme. Il fut terminé par Scipion l’Africain, et les soldats révoltés y précipitèrent

  1. On doit surtout l’achèvement de ce viaduc monumental à M. Jacobini, ministre des travaux publics, qui est mort l’an dernier, et qu’il sera difficile de remplacer.