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de vaisseau, et atteste aujourd’hui la vérité d’une mission qui suppose chez les Romains de cette époque la connaissance et la vénération d’un temple célèbre de la Grèce. L’importation de la médecine, art utile, précéda l’importation des beaux-arts : dès l’an 301, un médecin grec était venu à Rome.

Ces premières communications ont pu introduire dans les mœurs romaines quelques détails isolés de la civilisation des Grecs ; mais cette civilisation n’a eu sur les Romains d’influence décisive qu’à l’époque où le progrès de leurs armes les mit en un contact permanent d’abord avec les populations helléniques de l’Italie méridionale, puis avec celles de la Grèce elle-même et de l’Asie. Arrivé à cette époque de l’histoire romaine si importante pour l’histoire des monumens, je me crois obligé de considérer l’action de la Grèce sur Rome, non-seulement au moment où elle commence à se faire sentir, mais jusque dans les temps qui suivirent. Pour saisir le caractère et la portée de ce fait, il est nécessaire de l’embrasser tout entier.

Les Romains et les Grecs se connaissaient bien peu quand ils se rencontrèrent. Le théâtre de leur activité était différent. Les Grecs, le regard tourné vers l’Asie depuis la guerre de Troie jusqu’à l’invasion d’Alexandre, n’imaginaient derrière l’Hémus et au nord de l’Épire que des peuples sauvages. Le détroit de Sicile était pour eux comme l’extrémité du monde ; là commençait le pays des fables et des merveilles. Ils savaient qu’il y avait une colonie grecque dans le pays lointain des Celtes, et un peuple navigateur, les Tyrrhéniens, sur la côte d’Hespérie ; mais les nations qui se faisaient la guerre dans cette région du couchant n’attiraient point leur attention. Hérodote parait avoir ignoré l’existence de Rome, bien qu’elle fût déjà la Rome de Brutus. S’il en avait ouï parler, il la considérait comme une dépendance du puissant royaume des Tyrrhéniens. D’autres la regardaient comme une ville osque ou la disaient voisine des hyperboréens. Au temps d’Alexandre, Rome n’avait encore aucune importance dans le monde. Tite-Live se demande ce qui serait arrivé si Alexandre avait attaqué les Romains, et il pense que les Romains auraient triomphé du conquérant macédonien. Un Grec n’eût pas été de cet avis. Le doute est au moins permis. Tandis qu’Alexandre soumettait les Perses, traversait l’Asie, franchissait l’Indus et allait mourir à Babylone, les Romains soutenaient une lutte désespérée contre les Samnites et passaient sous les fourches caudines.

Les deux peuples ne se cherchaient pas. Ce fut par circonstance qu’ils en vinrent aux prises. La guerre contre les Samnites appela l’attention des Romains sur les villes grecques de la Campanie. Celles-ci attirèrent à l’étourdie par des impertinences un ennemi terrible