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grecques ne prévalussent parmi les Romains ; mais il subsistait chez ceux-là mêmes qui étaient le plus sous cet empire. Cicéron, disciple enthousiaste des Grecs, nourri et imbu de leur littérature, Cicéron, qui dans sa correspondance familière reconnaissait tout ce que Rome devait aux enseignemens d’Athènes, — quand il parlait en public, traitait les Grecs avec le dernier mépris. D’autre part, les habitans efféminés de la Campanie regardaient les Romains comme des barbares, comme des hommes grossiers, qui portaient de longues robes ridicules et prononçaient mal leur langue, seule digne d’être employée par les hommes. Plus tard, un rhéteur alla plus loin, et soutint que les dieux parlaient grec.

Ces deux peuples étaient hors d’état de se comprendre et de s’apprécier ; leurs tempéramens étaient trop contraires. Aujourd’hui, si quelque chose peut donner au voyageur l’idée de cette diversité, c’est le contraste qui le frappe quand il passe du calme et de la sévérité de Rome au tumulte étourdissant de Naples. Ici le silence et la solitude, là le bruit et le mouvement. Rome est sérieuse et grave, Naples est pétulante et folle, et Naples c’est la Grèce, c’est le ciel, la mer et presque la lumière de l’Attique. Ce pays fut en effet un pays grec ; des noms grecs y retentissent encore à nos oreilles, à peine altérés ou conservés tout à fait : Neapolis, Cumé, Pausilippos, Prochyta, Nisida (la petite de), Anacapri (le Capri d’en haut). Partout sont des souvenirs de la mythologie grecque. Pour arriver à Naples, on passe devant l’île de Circé. Dans le golfe, on peut aborder aux rives de l’Averne ou aux Champs-Elyséens. Parmi les îles des Syrènes, on est en pleine Odyssée, on est chez Homère. À Pœstum, on a le spectacle de l’architecture dorienne de Sybaris. Pompéi est une ville moins romaine que grecque. La diversité d’humeur des habitans achève le contraste. Les Napolitains, par leur vivacité, leur mobilité, leur légèreté, rappellent les Athéniens. Les Romains actuels, surtout le peuple et les gens de la campagne, ont la rudesse et la férocité sauvage de leurs aïeux. Ce peuple a conservé le sentiment, souvent trop stérile il est vrai, de son ancienne primauté, et l’on a entendu deux petits bourgeois de Rome se dire en fermant le soir leurs boutiques voisines : « Après tout, nous sommes Romains, les premiers du monde ! »

La vieille antipathie dure encore. Quand on va de Naples à Rome par la malle-poste, on change de courrier en passant la frontière. Faisant ce voyage, je me rappelle être venu jusqu’à Terracine avec un courrier napolitain, jeune homme enjoué, railleur, et qui traçait un portrait peu flatté des Romains. À Terracine, je trouvai le courrier des états pontificaux. C’était un personnage à profil de médaille,