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à tête consulaire, et qui n’épargnait pas les Napolitains. Ces deux hommes me rappelaient les sentimens réciproques des Grecs de la Campanie et des Romains d’autrefois, qui n’eussent pas parlé différemment les uns des autres. Le Napolitain aurait, je crois, volontiers, comme le bouffon de Tarente, conspué un envoyé de Rome et poussé de même la grossièreté de l’insulte à des excès qu’on ne peut raconter. Les jeunes lazzaroni qui commencèrent la révolte de Masaniello n’adressaient pas aux préposés espagnols des insultes plus décentes. Mon vieux courrier romain, bafoué par une foule en gaieté et en délire, eût dit comme le consul Posthumius : « Riez, riez, Tarentins ; il faudra beaucoup de votre sang pour nettoyer mon habit. » Et le sang eût coulé, si jamais un Tarentin se fût trouvé à la portée de son couteau.

Les Grecs sont à Rome. Ils y ouvrent des écoles où se précipite une jeunesse curieuse de l’inconnu. Dans beaucoup de familles patriciennes, un rhéteur grec, un philologue (nous dirions un littérateur, c’est le sens du mot), sont appelés pour élever les enfans de la maison, quelques-uns uniquement par l’intérêt qu’inspirent à son chef ces études nouvelles, cet horizon brillant qui se découvrait tout à coup au milieu de la vie sévère et triste qui avait été jusqu’alors la vie des Romains. L’hospitalité donnée aux lettres grecques par les grandes familles romaines s’étendait jusqu’à l’hospitalité de la tombe : la statue du poète Ennius, latin, mais imitateur des Grecs, avait été placée dans le tombeau des Scipions. À côté des fières images de ces vieux patriciens barbus qui prenaient les villes et les provinces, on voyait l’image de l’un de ceux qui créèrent la poésie latine en s’inspirant du génie grec.

Les influences grecques pénétrèrent encore dans Rome par une autre voie moins remarquée. Lorsqu’on parcourt la longue salle qui conduit au musée du Vatican, et dont les murs sont tapissés d’inscriptions en grande partie funéraires, on est frappé de la quantité d’affranchis qui ont des noms grecs. La classe des affranchis se recrutait principalement parmi les esclaves grecs, qui étaient les plus intelligens. Or esclaves et affranchis exerçaient une action notable sur les mœurs domestiques de la société romaine. Les premiers fournissaient les nourrices, souvent les pédagogues. On voit dans Térence la place que tenait, dès les derniers temps de la république, l’esclave dans la famille romaine. Complaisans et par là corrupteurs de leur jeune maître, ils étaient même consultés par le père de famille. Il suffit, pour s’en convaincre, d’ouvrir l’Andrienne. À la première scène, Simon y conseille son vieux maître, qui écoute ses sentences comme des oracles. Le rôle de nos valets de comédie, qui