Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/991

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La constitution fut disloquée, et la vie morale du peuple romain fut atteinte profondément. Fatalité bizarre ! les Grecs, bien qu’entrant dans la décadence, étaient à certains égards plus civilisés que les Romains ; ils étaient plus éclairés, plus humains, pour tout dire, en un mot, plus près du christianisme, qui eut beaucoup moins de peine à s’établir parmi eux. Ils possédaient dans leurs arts, leur poésie, leur éloquence, leur philosophie, ce que le génie humain a produit de plus achevé, et malgré tout cela, en perfectionnant la civilisation romaine, ils devaient la pousser vers sa ruine.

L’incompatibilité de deux principes fait quelquefois que l’un altère l’autre, bien qu’il lui soit supérieur à quelques égards. L’art égyptien, aux belles époques, offre une sublimité de style qui souvent échappe au vulgaire, mais que l’œil d’un artiste, ou seulement un œil exercé et impartial, sait découvrir ; la sculpture grecque, c’est la beauté même. Eh bien ! quand l’art grec vient modifier l’art égyptien, ce qui en résulte est quelque chose de très inférieur à tous deux. C’est ainsi que l’esprit grec altéra et déforma la société romaine. On doit déplorer ce fait, on peut s’en étonner, on est contraint de l’admettre. Et sans maudire la Grèce, sans calomnier la philosophie et les arts, sans invoquer, comme Rousseau, l’ombre de Fabricius pour lui faire crier aux Romains : Renversez vos monumens, brisez vos statues ! — ce que je ne consentirai jamais à répéter après lui, surtout à Rome, — on est forcé de reconnaître que, par l’enchaînement mystérieux des choses, le jour où Rome subjugua la Grèce, la Grèce non-seulement la fit captive à son tour, comme a dit Horace, mais lui porta un coup mortel.


JEAN-JACQUES AMPERE.