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multitudes d’hommes capables de revenir au bien, tandis que la société la mieux réglée cache toujours dans ses replis des natures basses et féroces pour lesquelles il n’existe de frein que dans l’intimidation. Les criminels de profession lisent le Code pénal plus que les jurisconsultes, et ceux-là seuls qui les voient de près savent combien souvent la perspective de l’échafaud les empêche de franchir la distance du vol à l’assassinat. Lorsqu’à Paris ceux de ces êtres qui montent des cours de la Conciergerie sur les bancs de la cour d’assises en redescendent avec une condamnation aux travaux forcés, obtenue sur une déclaration de circonstances atténuantes, cela s’appelle un procès gagné; leurs pareils les complimentent, les criminels subalternes se groupent, s’enhardissent autour d’eux, et l’espoir d’une impunité pareille enfante mille sinistres projets. On se flatterait en vain que les progrès de l’instruction ou de l’aisance générale tariront un jour la source des crimes capitaux; la misère pousse souvent au délit, rarement au crime, et la perversité n’est cantonnée ni dans l’ignorance, ni dans les privations. Partout et toujours il est né des monstres dans les régions de la société où le besoin est le plus inconnu, l’éducation la plus soignée, aussi bien que dans les plus humbles. — Hélas! rappelons-nous la dernière année de notre pairie constitutionnelle, et si, la main sur la conscience, nous croyons que le raffermissement des mœurs, la sûreté des familles, le salut de l’état ne peuvent jamais exiger de grands exemples, dépouillons la loi d’un glaive aussi odieux qu’inutile, et ne nous arrêtons point à de mesquines questions d’opportunité; mais si ce glaive est la sûreté des faibles et l’effroi des méchans, nous ne le briserions que pour encourager l’homicide et multiplier les victimes.

C’est donc une humanité bien peu digne d’être imitée que celle qui, en Toscane, sacrifie les brebis par excès de ménagemens pour les loups. Sachons résister à de pareils entraînemens, et concluons que la peine capitale doit être maintenue dans nos codes, non pas à titre transitoire, non pas timidement et comme une tache qu’il serait honorable d’en effacer, mais comme une nécessité impérieuse, comme la seule digue capable de contenir des passions sanguinaires, et par la grande raison qu’elle prévient infiniment plus de crimes qu’elle n’en punit.

Maintenant le but moral de la peine serait-il manqué sans la publicité des exécutions? L’appareil dont la loi les environne produit-il sur l’assistance et sur le condamné des impressions salutaires? Ce sont là des questions d’un autre ordre, et peut-être, quand elles se sont posées, n’ont-elles pas été assez attentivement étudiées. Le législateur et la multitude qu’il appelle aux exécutions ne se sont pas mieux compris cette fois que dans mainte autre circonstance : le législateur a voulu qu’elle y reçût des exemples; la multitude n’y