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Hollande sont au contraire affaissés, rentrés, comprimés ; ils décrivent une courbe concave, une échancrure.

La mer ruine les côtes de la Hollande, c’est un fait constaté : l’œil peut suivre, à travers des écroulemens de sable, ce triste et silencieux travail de destruction ; mais il existe de ce cataclysme perpétuel des témoins plus irrécusables encore. À Katvijk, le village de pêcheurs dont nous avons parlé, près de l’endroit où, soutenu par de magnifiques travaux d’art, le Rhin s’écoule laborieusement dans la mer, nous avons vu, par les marées basses, les fondations d’un château romain (la maison des Bretons) qui dominait la bouche du fleuve dans un temps où le Rhin, alors plus jeune et plus vigoureux, se portait lui-même dans l’Océan. C’est une preuve évidente que le sol a reculé ; mais ce n’est point la seule. On a conservé le souvenir d’une antique forêt qui couvrait autrefois la Hollande méridionale, et qui s’étendait même très avant vers le nord ; les arbres qu’on retrouve couchés dans les tourbières, à une heure et demie de la côte, sont, selon toute vraisemblance, les cadavres de cette ancienne forêt, que le vent ou les inondations ont dépeuplée, que la hache a détruite. Tout porte à croire que ces géans de la végétation du Nord s’élevaient sur des terres alors éloignées de la côte. Ces conjectures ont pour fondement certains faits positifs. Plusieurs tourbières, qui doivent leur origine à l’eau douce, se rencontrent aujourd’hui, spécialement du côté du Zuiderzée, sous le niveau de la mer. Tout dans la physionomie actuelle du delta indique donc de vastes et profondes révolutions. Une partie de ces changemens s’est accomplie presque sans désastres ; d’autres fois au contraire l’homme a été non-seulement témoin, mais acteur de ce grand drame de la nature. Les anciens habitans de la Hollande ont péri par milliers au milieu des guerres intestines de la terre et de la mer. Les événement géographiques dans lesquels se sont trouvés enveloppés des villes, des villages, des populations entières, fournissent, depuis l’ère romaine, le sujet d’une histoire tristement authentique, à laquelle ne manquent ni les dates, ni les récits des contemporains. La Hollande, ce vaste radeau flottant sur les vagues de la Mer du Nord, a vu plusieurs fois la tempête déchirer ses flancs, et lui enlever une partie de ses hommes, de ses troupeaux, de ses richesses.

Du temps des Romains, il y avait une plaine d’une grande fertilité à l’endroit où l’Ems entrait dans la mer par trois bras. Cette contrée basse projetait une péninsule au nord-est, du côté de Emden. En 1277, un déluge détruisit d’abord une partie de cette péninsule : trente-trois villages périrent[1]. À cette incursion de la mer est due

  1. Le souvenir de ce désastre est consigné dans une carte géographique faite pour retracer le souvenir de l’événement ; ou y lit cette inscription brève et triste comme une épitaphe : Anna 1277 maris inundatione 33 pagi hoc in loco periere. Une autre carte manuscrite, un parchemin, représente les trente-trois villages qui existaient avant l’inondation, avec le cours des rivières et le tracé des routes. Cette carte est d’ailleurs conjecturale : les cartes positives ne remontent point en Hollande plus huit que le milieu du XVIe siècle.