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chercher à l’atténuer. J’oserai donc rappeler que des doctrines que nous repoussons aujourd’hui avec une sorte d’horreur ont été quelquefois acceptées par des hommes qui nous valaient. Pour avoir été formé à la discipline dès son enfance à coups de garcette, Jean Bart n’en a pas porté moins haut le pavillon de notre marine. Le grand Colbert, rendant à ses enfans le bienfait de l’éducation qu’il avait reçue de son père, n’épargnait pas les coups de canne au marquis de Seignelay, qui fut à son tour un grand ministre. Le vainqueur de Valmy, souriant aux souvenirs de son bel âge, disait, pour l’édification des jeunes pairs qui l’écoutaient au Luxembourg : « J’ai souvent fait donner des coups de bâton, j’en ai quelquefois reçu, et je m’en suis toujours bien trouvé[1].» Enfin, si ces exemples ne paraissaient pas assez élevés, je citerais le modèle des rois et des chevaliers, Henri IV, la personnification de l’honneur français. « Je me plains, écrivait-il à Mme de Montglat à propos de quelques sottises du dauphin qui fut plus tard Louis XIII, je me plains de ce que vous ne m’avez pas mandé que vous ayez fouetté mon fils, car je veux et vous commande de le fouetter toutes les fois qu’il fera l’opiniâtre ou quelque chose de mal, sachant bien par moi-même qu’il n’y a rien au monde qui lui fasse plus de bien que cela, ce que je reconnais par expérience m’avoir profité, car étant de son âge, j’ai été fort fouetté. »

Ainsi les opinions des hommes changent avec le temps, et elles ne sont guère moins affectées par les différences des lieux. J’ai moi-même entendu des houzars hongrois, aussi braves soldats qu’il en soit au monde, s’indigner en apprenant que les houzars français, pour lesquels ils éprouvent de vives sympathies, sont mis à la salle de police et au cachot. « La prison, disaient-ils, est faite pour les voleurs : la schlague du moins n’humilie personne ; c’est un châtiment militaire. » La Grande-Bretagne elle-même n’a point de lords ni de ministres qui n’aient reçu les étrivières, soit à l’université d’Oxford, soit à celle de Cambridge, et ses affaires n’en sont pas pour cela plus mal conduites. Nos aïeux et nos voisins se sont-ils trompés ? Sans prétendre juger pour le moment une si grave question, nous nous permettrons seulement de remarquer que, sous des régimes différens, les Comptes-rendus de l’administration de la justice criminelle n’ont cessé d’accuser l’insuffisance de la répression telle qu’elle est pratiquée en France. Pour ne citer que le dernier de ces comptes-rendus, sur 33,005 récidivistes jugés dans l’année 1852,

  1. Ce mot a été attribué au feld-maréchal Mêlas. C’est sur la foi d’un noble duc et pair que je le restitue à notre illustre compatriote. Le maréchal Kellermann avait commencé sa glorieuse carrière en 1732 dans le régiment de Lowendal, et était demeuré dans les corps allemands au service de France jusqu’en 1784. On sait qu’avant la révolution ces troupes étaient soumises à la discipline d’outre-Rhin.