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du jour de cette étude. Déjà M. Mariette a retrouvé dans le tombeau d’un des Apis le cartouche du pharaon que M. de Rougé a identifié avec le Bocchoris de Manéthon, roi qui constitue à lui seul toute la vingt-quatrième dynastie. L’étude des monumens en apparence les plus insignifians est souvent celle qui devient la plus féconde pour l’histoire d’Égypte. Une simple inscription funéraire renferme parfois la mention du fait historique le plus important et le plus inattendu.

C’est ce qui est arrivé pour deux monumens célèbres qui ont fourni à M. de Rougé le sujet de ses deux meilleurs mémoires. L’un est l’inscription du tombeau d’Ahmès, chef des nautonniers sous le roi Amosis, premier monarque de la dix-huitième dynastie, et qui a été découverte en Égypte par Champollion ; l’autre est celle qui couvre une statuette du musée grégorien au Vatican. Le savant égyptologue français a choisi le premier de ces textes hiéroglyphiques comme le canevas d’un exposé raisonné des progrès qu’il a fait faire à la philologie égyptienne, et en même temps il a tiré de cette interprétation les données historiques les plus précieuses: mais c’est avant tout de son travail sur le Naophore du Vatican, déjà étudié par Champollion et M. Ampère, que l’évidence historique a jailli avec un vif éclat. La traduction de ces textes épigraphiques nous montre Cambyse, tout dévastateur de l’Égypte et contempteur de sa religion que l’avaient représenté les Grecs, venant d’abord à Saïs dévotement adorer la déesse Neith, se faisant initier à ses mystères, rétablissant les prêtres et le temple dans tous leurs droits, restaurant le culte dans sa pureté première. Ainsi, comme l’avait justement avancé M. Letronne[1], l’invasion perse n’est pas venue anéantir toute l’antique société égyptienne, et n’a nullement rompu le fil des usages et des traditions. Cambyse, comme plus tard les Ptolémées, fut obligé de se soumettre aux institutions de l’Égypte. Il se fit reconnaître comme roi légitime du droit de sa femme, la fille d’Apriès, qu’Amosis avait détrôné. Il tint à Memphis la même conduite qu’à Sais, et parmi les sarcophages d’Apis retrouvés au Sérapéum, on voit figurer celui du bœuf que le monarque persan avait tué dans un moment de colère, mais auquel il n’en paya pas moins plus tard son tribut d’adoration. Une autre partie de l’inscription du Naophore nous apprend que Out’a-Hor-Soun, dont la biographie contient toutes ces données historiques, avait établi, par ordre de Darius, des collèges sacerdotaux, dirigé des travaux de culture, opéré un recensement de la population. Le texte égyptien ajoute en parlant du même monarque : « Sa majesté voulut pareillement que la splendeur de cette demeure fût augmentée, que l’on fît revivre toutes les cérémonies funéraires, que l’on rétablit les liturgies de tous les dieux dans les demeures qui leur appartenaient, que l’on fit leurs divines offrandes, et que l’on célébrât leurs panégyries à toujours. »

Après l’invasion perse, les principales difficultés chronologiques disparaissent, et tout s’aplanit à mesure que l’on approche de l’époque où l’Égypte fut réduite à la condition de province romaine.

  1. Voyez la Revue des Deux Mondes du 15 février 1845.