Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

encore partie du continent, a successivement décru depuis la formation de la baie. C’est à ce déclin et aux événemens qui l’ont amené qu’Amsterdam doit d’être aujourd’hui une des principales villes du monde et un des ports les plus fréquentés par les vaisseaux. Les voyageurs qui passent à Amsterdam négligent trop généralement de visiter Marken, Urk et Schokland ; ces trois îles du Zuiderzée sont les derniers vestiges du continent qui a sombré. Tout homme qui se livre à l’étude des pays et des peuples doit entreprendre ce voyage, qui est en même temps un cours d’histoire. Les habitans de ces trois îles séparées de la terre ferme et comme démembrées l’une après l’autre par de terribles inondations en sont restés aux divers degrés de l’échelle morale où le cataclysme les a saisis. Voyager dans le Zuiderzée avec ce point de vue, c’est revenir dans le passé. Quel ne fut pas notre étonnement de voir ces débris de races anciennes sortant de l’abîme des eaux et de l’océan des âges avec les mœurs, le langage, les traditions, les coutumes et les figures d’un autre temps ! C’était pour nous comme une apparition des anciennes sociétés. Les Bataves et les primitifs Frisons ne sont pas morts ; vous les retrouvez là. Dans ces îles, dernières traces de la terre ferme, et sur les cotes voisines du Zuiderzée, on est surpris de rencontrer un étrange assemblage de traits particuliers, de caractères physiques et surtout de costumes qui ne se retrouvent ailleurs que chez plusieurs nations différentes. Ces médailles vivantes attestent l’origine d’anciennes races qui ont conservé leur genre de vie, leurs travaux habituels, leurs modes, leur physionomie distincte. On a de la sorte sous les yeux non-seulement la preuve matérielle d’anciens déluges qui ont laissé partout des monumens de destruction, mais encore des fossiles d’un ordre nouveau qui détachent, pour ainsi dire, dans la vie les formations successives de l’histoire. À mesure qu’on s’éloigne des côtes du Zuiderzée, c’est-à-dire du théâtre des anciennes catastrophes, on voit en grande partie disparaître, chez les habitans de l’intérieur du pays, les caractères de cette originalité saisissante. Les types s’effacent dès que les communications géographiques se rétablissent. Le naufrage d’une partie du continent a donc isolé certaines populations de la société des Pays-Bas, et, en les détachant de la terre ferme, il les a, pour ainsi dire, pétrifiées dans les formes anciennes, mais diverses, de la civilisation.

La formation tempétueuse du Zuiderzée parait avoir été la conséquence de désastres encore plus anciens. Tout au nord de la Hollande, on rencontre une série d’îles égrenées dans l’Océan comme les perles d’un collier dont le fil est rompu. Ces îles sont les derniers reliefs d’une côte qui servait autrefois de rempart aux Pays-Bas ; ce rempart a été enfoncé, et les débris en ont été dispersés dans la Mer