Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/1154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la splendeur, tandis que le chef de l’école hollandaise distribuait la lumière avec avarice.

L’Orient et l’Italie ont tour à tour exercé son imagination. Quoiqu’il soit rangé parmi les peintres de genre, il a parcouru d’un pied libre et hardi le domaine entier de son art. Il ne s’est pas contenté de retracer fidèlement ce qu’il avait vu dans ses voyages; il a traité les épisodes les plus touchans de l’Ancien et du Nouveau Testament avec un rare bonheur. Ses compositions bibliques sont à la fois graves et familières; aussi ont-elles un accent tout nouveau. L’histoire de Samson et l’histoire de Joseph ont pris entre ses mains un caractère qui n’a rien d’inattendu pour les hommes initiés aux mœurs de l’Orient, mais qui étonne et déroute les spectateurs engoués des traditions académiques. Pour moi, je ne me lasse pas d’admirer ces poèmes tantôt naïfs, tantôt énergiques, mais toujours vrais. Tous les personnages sont représentés avec une simplicité que les maîtres les plus habiles n’ont jamais dépassée. L’auteur met à profit ses souvenirs de voyage, et dans ses inventions les plus hardies il a l’air de transcrire ce qu’il a vu. Cependant ceux qui rangeraient Decamps parmi les peintres spontanés et dédaigneux de la réflexion se tromperaient étrangement. Si la nature l’a richement doué, il ne s’en est pas tenu aux dons de la nature; il a fécondé, agrandi par un travail assidu, les facultés heureuses qu’il avait reçues. Il n’y a pas un de ses tableaux qui n’ait été gratté plusieurs fois et remanié de façon à frapper de surprise les spectateurs qui connaissaient la première forme de sa pensée. Sans indulgence pour lui-même, il détruit l’œuvre qui semblait achevée et la recommence, comme s’il n’avait rien à regretter. C’est en suivant cette méthode qu’il est arrivé à produire des compositions d’une vérité si évidente et si solidement modelées.

La Défaite des Cimbres, exposée pour la première fois en 1834, prouve que Decamps s’élève, quand il veut, aux plus hautes conceptions. Quoi qu’on puisse penser de l’exécution matérielle de ce tableau, il est impossible de méconnaître la grandeur de la pensée. C’est une bataille où l’on se bat, une bataille où le sang coule, où l’épée entame la chair, et cet éloge, qui semble vulgaire, est bien rarement mérité. Que de compositions décorées du nom de bataille devant lesquelles se pâment d’aise les spectateurs ennemis de toute mêlée tumultueuse! On peut trouver que les masses sont trop confuses, que les figures du premier plan ne sont pas dessinées avec assez de précision; mais il faut rendre justice à l’énergie de l’invention. J’aurais voulu que le public vît en même temps la défaite des Cimbres et les épisodes de la guerre soutenue par les Gaulois contre les Romains. L’agrandissement du style de l’auteur eût frappé tous les yeux.