Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/122

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous venions surtout reconnaître le fond du lac mis à nu par le travail des machines. Ces terres récemment desséchées et comme étonnées de voir le jour, ces chemins à peine tracés où l’on marche et où hier on naviguait, ces oiseaux qui chantent où nageaient les poissons, tout cela forme un spectacle unique et sérieux. À propos d’oiseaux, nous rencontrâmes, chemin faisant, quelques bandes d’espèces aquatiques, venues avec le printemps et toutes surprises de ne plus retrouver le lac qu’elles avaient connu. Les pauvres bêtes se demandaient si elles avaient perdu la tête, ou bien si c’était la nature qui était devenue folle. Ni l’un, ni l’autre : c’était l’homme qui avait passé là ; sous son souffle, les mers aujourd’hui se dessèchent. Dix-huit mille hectares de terres retrouvées ont été vendus et bien vendus[1]. Le sol se remontre triste, nu, et ici que reparaîtrait le sol de l’Europe après trois siècles, s’il eût été couvert par un déluge universel. La civilisation recommence dans le désert, et elle recommence par le travail. Nous avons rencontré Robinson qui était occupé à construire sa hutte avec de la terre. D’autres cabanes provisoires en planches ou même en paille annonçaient le retour de la vie pastorale dans ces lieux qui furent autrefois le domaine de l’homme, et d’où l’homme s’était retiré. Quant aux anciens villages engloutis, on n’en a pas même retrouvé la trace ; du moins ces villages sont vengés : leur ennemi n’est plus. On s’attendait à recueillir au fond du lac mis à sec des pièces de monnaies, des médailles, des ouvrages d’art, et les débris des vaisseaux qui ont autrefois fait naufrage. Jusqu’ici ce qu’on a trouvé est peu de chose ; mais l’agriculture, en remuant ces terres, déterrera probablement d’autres richesses. Un trésor plus certain du reste que les pièces d’or ou d’argent enfouies dans le sol, c’est celui dont parle le fabuliste : travaillez, prenez de la peine. Ce fonds qui manque le moins est déjà cherché, exploité par la bêche. Des essais de culture ont été tentés sur remplacement de l’ancien lac, et ont réussi au-delà de toute attente. L’année dernière, on a semé du colza ; c’est toujours par là qu’on commence dans les polders desséchés : la première récolte a été magnifique, et l’on n’espère pas moins de la seconde. La terre est en ce moment toute jaune de fleurs, et des industriels ont amené des abeilles exotiques pour butiner cette moisson d’or. On a vu là

  1. Cette vente a donné lieu à une singulière discussion. Les habitans de Leyde ont réclamé ces terres, comme les ayant autrefois possédées, et en vertu de ce principe du droit romain, œterna auctoritas esto, la revendication est éternelle. L’état se trouverait de la sorte avoir desséché à leur profit des terres qui leur appartenaient ; mais la difficulté sera sans doute de produire des titres authentiques de propriété.