Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/127

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nos yeux vont répondre à cette question. La découverte des nouveaux gisemens aurifères, en jetant dans le monde civilisé un capital, soudainement produit, d’environ 3 milliards, a donné à l’esprit d’entreprise un essor et une énergie dont l’histoire, même moderne, ne fournit aucun exemple. Sans doute la navigation à vapeur, les chemins de fer, le télégraphe électrique, la liberté du commerce et de la navigation pratiquée par l’Angleterre, avaient imprimé au monde une impulsion puissante, mais cette impulsion même se serait vite arrêtée, ou aurait infailliblement amené des crises financières terribles, si la marche n’en avait été régularisée par l’afflux continuel d’une masse de capitaux réels, vouant à chaque instant combler les vides que les besoins d’entreprises gigantesques ne cessaient de faire dans la circulation.

En 1846 et 1847, l’insuffisance des récoltes en France et en Angleterre a donné lieu à d’énormes importations de grains d’Amérique et de Russie, et à des exportations corrélatives d’or et d’argent. Dans les deux pays, des crises monétaires et commerciales se sont immédiatement déclarées, elles ont causé les plus graves embarras, et mis en danger la Banque de France et celle d’Angleterre. On doit conclure de la similitude, des circonstances que, sans les arrivages réguliers de l’or de Californie et d’Australie, la disette de 1854 et la cherté de 1855 auraient amené des résultats plus funestes encore. La crise se serait en effet proportionnée à la hardiesse et à l’étendue colossale des entreprises en cours d’exécution en France et dans le monde entier. Au contraire, le temps de la disette s’est écoulé sans perturbation, sans apporter même de suspension appréciable dans la consommation générale, ni de temps d’arrêt dans le travail des manufactures et des ateliers de toute sorte. De plus, il a été possible à l’état de réaliser sans peine deux emprunts montant ensemble à 750 millions, d’exporter en numéraire sur le théâtre de la guerre la plus grande partie peut-être de cette somme, et en même temps le capital disponible a pu faire face aux émissions d’actions et d’obligations des villes, des compagnies industrielles, des chemins de fer, etc., qui se sont élevées à près d’un milliard.

Dans ces faits extraordinaires, et qui sont communs au monde civilisé tout entier, il n’y a pas un observateur attentif qui ne reconnaisse que la production croissante des métaux précieux, de l’or surtout, a joué le plus grand rôle.

Voilà le bien. Où donc est le mal ? — l’abondance de l’or en déprécie la valeur, dit-on ; la même quantité d’or n’achète plus la même quantité de pain, de viande, de matières premières, etc. Dans dix ans peut-être, cette dépréciation sera de 50 pour 100, et alors tous les créanciers d’engagemens à long terme seront remboursés avec une