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dans toute la suite de l’histoire de Suède. La mort du prince royal, Charles-Auguste d’Augustenbourg, qui le termine, a certainement, quelle qu’en ait été la cause réelle, élevé d’une part un mur entre la Norvège et le Danemark et préparé de la sorte l’œuvre de Bernadette; de l’autre, elle a augmenté l’éloignement des Suédois pour la Russie. Dès avant l’entrée de Charles-Auguste en Suède, des bruits sinistres avaient été répandus de toutes parts, annonçant sa mort prochaine et insultant aux espérances de ses partisans. Des placards et des billets anonymes, dans Stockholm et sur toute la route qu’il devait parcourir, depuis Gothenbourg jusqu’à la capitale, le représentaient comme entouré d’assassins. Adlersparre, qui était allé rejoindre le prince à Svinesund, un peu au nord de Gothenbourg, sur la frontière de Norvège, eut peut-être le tort d’ajouter une foi excessive à ces avis, qui pouvaient n’avoir d’autre but que d’empêcher le voyage. Il commit la faute d’en entretenir souvent Charles-Auguste, qui en devint soucieux et inquiet. Le prince traversa ainsi la Suède au milieu des acclamations populaires, mais accablé de craintes et de soupçons. Arrivé au château de Drottningholm, où il devait séjourner quelques jours avant de faire son entrée solennelle à Stockholm, il se vit entouré de personnes qu’il avait lieu de croire mal disposées à son égard. Comment en effet Charles XIII avait-il désigné pour faire partie de sa cour les deux frères Fersen, par exemple, que tout le monde savait dévoués à l’ancienne famille, et comment lui avait-on envoyé comme médecin le fils d’un opticien italien, le dentiste Rossi, que les Fersen avaient introduit jadis à la cour, qui avait fait fortune auprès de Gustave IV, et dont le caractère était suspect? Il était clair que ces choix avaient été dirigés par les ennemis du prince. Après l’entrée solennelle à Stockholm, la présentation au roi et à la diète, la cérémonie du serment, Charles-Auguste partit pour visiter les provinces du sud. Arrivé à Helsingborg, sur les bords du Sund, où il revit son frère le duc d’Augustenbourg, il sentit redoubler les douleurs de tête et d’entrailles auxquelles il était sujet depuis le commencement de son voyage en Suède. Tout à coup, le 28 mai, pendant une revue, il fut saisi d’un étourdissement et comme d’un vertige subit, tomba de cheval et expira quelques instans après.

Cette mort était un malheur public, car le prince n’était pas seulement l’élu des hommes de 1809, il était devenu celui de la nation tout entière. Sans oublier que l’esprit de parti était pour beaucoup dans les éloges peut-être exagérés qu’on faisait de lui et dans les espérances brillantes qu’on édifiait sur ses vertus, on doit se rappeler que Charles-Auguste, fort aimé des Norvégiens, semblait promettre un règne aussi indépendant des puissances étrangères que les complications des dernières années le permettaient, et glorieux