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rôle important dans la circulation, à cause des qualités qui lui sont propres, et qui lui donneront toujours la supériorité sur l’agent.

La monnaie est donc une unité composée de deux parties ; quand une des parties s’accroît, le tout s’accroît d’autant. Si le tout ainsi accru excède la demande sur le marché, le tout se dépréciera.

La solidarité des prix entre l’or et l’argent n’est pas particulière à ces deux marchandises. Elle existe à des degrés divers pour toutes celles qui par leur analogie sont de nature à se suppléer l’une l’autre. Le blé est dans ce cas par rapport à l’orge, au seigle, à l’avoine. Le blé est-il à un prix de disette, il fait hausser les autres grains ; s’il est abondant, il baisse et les fait baisser. La houille aussi réagit sur le charbon de bois, et les toiles de coton sur les toiles de lin, etc. Il ne parait donc pas admissible que l’or puisse, dans une dizaine d’années, baisser de 50 pour 100, tandis que l’argent conserverait à peu près sa valeur intégrale, comme le suppose M. Michel Chevalier dans un article publié par le Journal des Débats du 4 mai 1855. En ce moment même, l’argent est bien loin d’avoir la stabilité qu’on lui attribue. L’année dernière, il gagnait une prime qui s’est élevée jusqu’à 36 fr. par 1,000 fr. ; cette prime est retombée à Paris à 13 et à 15 fr., et au mois de mai dernier, l’or gagnait une prime à Londres et à Marseille.

À côté de ces faits, il ne faut pas perdre de vue que l’argent peut être, dans un avenir prochain, aussi exposé que l’or aux inconvéniens d’une production illimitée. Les exploitations de Buenos-Ayres, du Chili, du Pérou, n’ont pas cessé d’être en progrès depuis le commencement du siècle, et il en eut été de même sans doute de celles du Mexique, si les révolutions qui se succédèrent dans ce malheureux pays n’y avaient ralenti le travail des mines. Malgré ces circonstances défavorables, la production annuelle de l’argent est de près de 200 millions de francs, et des améliorations peut-être prochaines dans le travail des mines d’Amérique pourraient l’élever au niveau de celle de l’or. En effet, le minerai argentifère de l’Amérique est inépuisable. M. de Humboldt écrivait, il y a quarante ans, qu’il y avait assez d’argent dans les mines de la Nouvelle-Espagne pour en inonder le monde. M. Saint-Clair Duport, qui a visité les mines du Mexique, dit que les gisemens travaillés depuis trois siècles ne sont rien auprès de ceux qui restent à explorer.[1]. M. Michel Chevalier écrivait en 1850 : « Les variations des deux métaux précieux ne sont pas arrivées à leur terme. Il est dans la nature des choses qu’elles n’y soient jamais. Pour l’instant, il semblerait que l’or dut baisser bientôt relativement à l’argent, mais on peut croire

  1. De la Production des métaux précieux, p. 378.