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III

Il nous reste à examiner les effets que produirait en France la démonétisation de l’or. C’est un point de vue pratique trop négligé, et qui mérite la plus sérieuse attention.

En montrant que la monnaie d’argent ne jouit pas du privilège de la fixité, nous avons fait voir le côté le plus faibli ; de la théorie de la démonétisation de l’or ; ce n’est pas le seul. L’argent est, pour la fonction monétaire comme pour les usages domestiques, inférieur à l’or. Il est moins beau, moins inaltérable, plus encombrant. Cette dernière imperfection est plus grave qu’on ne le croit communément, les paiemens en argent, étant ou coûteux ou même matériellement impossibles, dès qu’ils ont quelque importance. On y supplée jusqu’à un certain point par les billets de banque, les viremens de comptes, les effets de commerce ; mais ces moyens de solder les dettes n’existent pas partout, ne sont généralement pas gratuits, et n’empêchent pas des transports considérables de métaux précieux dont le fret et l’assurance sont toujours beaucoup plus élevés pour l’argent que pour l’or. Aujourd’hui préférer l’argent à l’or, c’est préférer la poste aux chemins de fer, c’est s’imposer des pertes certaines qui se multiplient comme les affaires elles-mêmes. Les nations qui jouent le premier rôle dans le commerce du monde, les États-Unis et l’Angleterre, produisent l’or en abondance, et s’en servent presque exclusivement dans la fonction de monnaie. Adopter exclusivement l’argent, c’est jeter des complications dans les relations internationales avec ces deux grands états, c’est de plus rendre moins facile et moins lucratif le commerce avec les pays si importans déjà qui produisent l’or et n’ont pas d’autre retour à offrir.

Ces considérations n’ont pas frappé la Hollande ni la Belgique, et ne les ont pas arrêtées dans leur préférence pour l’argent ; mais il parait que toutes deux commencent à ressentir les inconvéniens du parti qu’elles ont pris. La monnaie d’argent ne les a pas mises à l’abri de la hausse des prix. La Belgique même en est plus affectée que la France. Le pain, la viande, les logemens, le sol, y sont plus chers, surtout dans les campagnes vouées aux travaux industriels. En revanche, ces deux pays ont dû remplacer la monnaie d’or par de petits billets de banque de 100 à 20 francs, et par l’admission de l’or français à la Banque et dans les caisses publiques, sous la faible retenue de 1/4 pour 100. Aussi, quelque récente que soit la démonétisation de l’or, il ne manque pas d’esprits sérieux qui doutent de l’efficacité d’une telle mesure.