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d’ambassadeur de Suède au congrès ; elle n’y saurait particulièrement admettre un envoyé dont le nom est peut-être inscrit sur les listes d’émigrés. » Ce dernier argument ne laissait pas d’être redoutable ; on fit comprendre à Fersen qu’il devait au plus tôt quitter la ville, de peur d’être enlevé par l’ordre du directoire, à titre d’émigré.

Voilà quelles furent les premières relations de Gustave IV avec le gouvernement français. Elles fortifièrent en lui l’idée de s’ériger contre ce gouvernement en défenseur de l’ancien système européen. On put cependant croire un instant, lorsque le baron de Staël-Holstein, en février 1798, reprit à Paris son poste de ministre de Suède, et même encore au commencement du consulat, quand M. de Bourgoing nous représentait auprès des deux cours du Nord, que Gustave reconnaîtrait à la France le droit de disposer d’elle-même et de régler son gouvernement ; mais la Suède était destinée a ce malheur d’avoir presque successivement à sa tête deux souverains qu’une rivalité et une inimitié devenues personnelles contre le dominateur de l’Europe allaient entraîner, et le pays avec eux, dans une lutte dont ils auraient dû prévoir la redoutable issue. Le malheureux voyage que fit Gustave IV en Allemagne de 1803 à 1805 l’y précipita.

Après avoir refusé, comme on l’a vu[1], la main de la grande-duchesse de Russie Alexandra, fille de l’empereur Paul Ier, le jeune roi de Suède avait épousé en 1797 la quatrième fille du margrave de Bade, la princesse Frédérique, sœur de l’impératrice Elisabeth, femme d’Alexandre. Le prétexte d’une visite à la cour de Carlsruhe servit à dissimuler la résolution qu’avait formée Gustave d’intervenir dans les affaires de l’Allemagne, et on le vit avec inquiétude, suivant le triste exemple de Charles XII, son modèle, quitter pendant plus de dix-huit mois son royaume, encore divisé par les factions, pour se lancer dans une carrière aventureuse contre un adversaire dont il n’avait pas su reconnaître le génie. À peine arrivé en Poméranie, Gustave IV fut entouré des principaux émigrés, qui enflammèrent sa vanité en lui offrant la gloire de relever le trône de France. À la cour de Carlsruhe, sa belle-mère, la margrave de Bade, et avec elle le général Armfelt, le comte d’Antraigues, beaucoup d’autres, ennemis acharnés de la France, excitaient sa haine contre Bonaparte. Il avait reconnu le 18 brumaire, mais la déclaration de l’empire et la mort du duc d’Enghien, qu’il aimait personnellement et qu’il essaya de sauver, le livrèrent de nouveau à toute sa passion. Il faut ajouter que, vers la même époque et à cette même cour de Bade, Gustave-Adolphe avait rencontré le fameux mystique allemand Jung, qui, par

  1. Dans la Revue du 15 février 1855.