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On a vu à combien de fautes avait donné lieu son premier séjour en Allemagne, de 1803 à 1805 ; celui-ci ne fut pas moins malheureux. Les Français étaient déjà, comme on sait, maîtres de toute l’Allemagne du nord ; ils occupaient une partie de la Poméranie et assiégeaient Stralsund. Ils étaient commandés par le maréchal Brune. Gustave ne douta pas que l’autorité de sa présence, et au besoin de ses exhortations personnelles, ne dût ramener le maréchal au service des Bourbons ; il voulut avoir avec lui une entrevue ; elle eut lieu à Schlatkow, sur la frontière de la province, le 4 juin 1807.


« — Maréchal, dit le roi, avez-vous donc oublié que vous avez un roi légitime ? — Je ne sais pas même qui serait ce roi, répondit Brune.— Tenez, reprit Gustave en ouvrant un écrin dans lequel se trouvait un médaillon représentant Louis XVIII, reconnaissez-vous ce portrait[1] ? — Je le connais, dit Brune avec indifférence. — Louis XVIII est malheureux, exilé, mais il n’en est pas moins votre roi légitime, et ses droits sont inviolables. Il ne demande en ce moment qu’une chose, c’est de pouvoir rassembler ses fidèles sujets sous ses drapeaux. — Mais ces drapeaux, où sont-ils ? — Vous les trouverez toujours dans mon camp, s’ils ne peuvent se déployer ailleurs ! — Mais le prince a cédé, assure-t-on, ses droits au duc d’Angoulême ? — Je n’ai jamais entendu pareille chose. Au contraire Louis XVIII a publié une déclaration, gage de sa pensée, à laquelle Monsieur et tous les princes du sang ont souscrit. La connaissez-vous ? — Non, sire. — Le duc de Pienne est ici ; peut-être l’a-t-il sur lui. Je le ferai venir, si vous voulez… Mais peut-être cela attirerait-il trop l’attention ?… — Si votre majesté veut me l’envoyer sous un pli aux avant-postes, je la lirai et la montrerai à mes officiers. — Dans cette déclaration, le roi promet à tous les militaires qui reviendraient à leur devoir de les maintenir dans leurs grades ou fonctions… Mais dites-moi, général, croyez-vous que l’état présent des choses puisse durer longtemps en France ? — Tout peut changer dans ce monde. — Ne pensez-vous pas que la Providence, après vous avoir permis de notables succès, puisse vous les retirer pour venger le droit et la bonne cause ? — Ne peut-il pas arriver, sire, que des hommes bien intentionnés, agissant d’après leur conviction, se trouvent en désaccord avec les volontés de la Providence ?… — Si le choix vous était de nouveau offert entre le service de votre roi légitime et celui de la cause dans laquelle vous êtes engagé, que feriez-vous ? Répondez-moi franchement. — C’est une question qui mérite examen. — Il ne me semble pas ainsi. Dites seulement si vous êtes disposé à rentrer dans le devoir ou à défendre les principes que vous avez adoptés — Pour ce qui est de ces principes-là, oui, sire, je les défendrai toujours. Pour ce qui est du présent, je ferai mon devoir. — Savez-vous que Bonaparte a proposé au roi de traiter de ses droits avec lui ? C’est la meilleure preuve qu’il est obligé de les reconnaître. — Je ne sais rien de pareil. — Savez-vous aussi que le roi s’y est

  1. Nous avons entendu raconter que Gustave, tirant un cordon, leva un rideau derrière lequel se trouvait Louis XVIII en personne. Nul document sérieux, à notre connaissance, ne confirme cette singulière anecdote.