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la salle des états, il s’assit sur un banc placé auprès de la porte, et ne cessa, dans un profond silence, d’avoir les yeux fixés sur le trône… Puis, se tournant vers le comte Stenbock et ceux qui l’entouraient : « Ne voyez-vous rien ? leur dit-il. — Rien absolument, » répondirent-ils ensemble. Alors le roi, cédant à son inquiétude, prononça ces mots à baute voix : « Quand cela doit-il arriver ? » Une voix claire, qui fut entendue de tous ceux qui étaient présens, répondit : « Sous ton cinquième successeur. » Et le roi, se tournant vers ceux qui l’entouraient, dit : « Remerciez Dieu de ne pas vivre dans ce temps-là. » On l’aida ensuite à remonter dans sa chambre ; il était fatigué et sombre ; lorsqu’il eut repris quelque force, il dicta ces lignes : « Quand nous fûmes arrivés dans la salle des états, nous vîmes un jeune homme assis sur le trône, la couronne en tête et l’épée dans la main droite. Autour du trône étaient une multitude de seigneurs, sans doute les grands du royaume. En avant du trône était étendu un drap rouge sur lequel étaient placés plusieurs billots, et, sur un signe d’un gros homme qui était là, les seigneurs s’approchaient l’un après l’autre, se mettaient à genoux, et étaient décapités par les bourreaux. » Le roi mourut trois jours après cette vision, le 5 avril 1697. »


Voilà le premier de ces deux documens, qui ne semble pas, comme on voit, contenir une prophétie d’une signification bien précise, mais on a imprimé de plus un certificat signé du roi, en date de 1676, qui contient des détails différens.


« Moi, Charles XI, aujourd’hui 16 décembre 1676, malade et fatigué d’une longue insomnie, je m’éveillai vers une heure et demie d’un court assoupissement, et, en jetant les yeux sur la fenêtre de ma chambre, j’aperçus une vive lumière dans la salle des états. Je dis au grand-chancelier Bielke, qui était auprès de moi : « Quelle est cette lueur dans la salle des états ? Serait-ce un incendie ? — Non, sire, répondit-il, c’est le reflet de la lune dans les vitres. » Je me contentai de cette assurance, et je me tournai vers la muraille pour chercher quelque repos ; mais j’étais tourmenté de je ne sais quelle inquiétude : je me dressai de nouveau, et j’aperçus encore cette lueur… Sur la même réponse, je me tranquillisai ; un instant après, je crus apercevoir qu’il y avait du monde dans la salle des états. En un instant je me levai, je mis ma robe de chambre, j’ouvris, et je vis que toutes les croisées étaient flamboyantes. « Messieurs, m’écriai-je, il y a là quelque chose d’extraordinaire. Vous savez que celui qui craint Dieu ne redoute rien ici-bas ; j’irai donc, et je veux savoir ce que cela peut être. » J’ordonnai aussitôt qu’on allât avertir le gardien afin qu’il apportât les clés. Arrivé au bout du corridor qui conduisait de ma chambre à l’entrée, je lui commandai d’ouvrir ; mais, effrayé qu’il était, cet homme me supplia de l’en excuser. J’en chargeai donc le grand-chancelier, qui refusa ; puis le brave et intrépide Oxenstierna, qui me répondit : « J’ai juré de donner mon sang et ma vie pour votre majesté, mais je ne saurais ouvrir cette porte. » Je commençais à hésiter moi-même, mais je l’appelai mon courage, je pris les clés, et j’ouvris. Nous vîmes alors toute la salle tendue de noir, les murs, le plafond et le plancher. Je fis un pas puis je me retirai tout à coup saisi d’horreur. Enfin je dis : « Me suivrez-vous, messieurs, afin que nous sachions ce que tout cela signifie ? » Ils répondirent :