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son épée. — « Savez-vous ce qu’il en peut coûter, s’écria-t-il, de m’oser parler comme vous venez de le faire ? Savez-vous que votre tête en ce moment tient à la pointe de mon épée ? — Sire ! répondit le fidèle conseiller avec une mâle assurance, il ne manque plus à votre majesté que d’avoir sacrifié un vieillard de quatre-vingts ans, un ancien serviteur qui a osé vous dire la vérité ! Je suis trop près de la tombe pour craindre la mort, et la mort du martyr pourrait m’être honorable, mais j’ai trop de respect pour la mémoire de vos ancêtres pour ne pas détourner votre majesté de cette mauvaise action… » Gustave l’interrompit : « Allez-vous-en, dit-il, et estimez-vous heureux que je ne vous aie pas traité comme vous le méritez, en traître et en factieux ! »

Il n’était plus temps de sauver Gustave, quand il l’aurait voulu lui-même. À chaque échec de ses plus dévoués serviteurs, il était devenu plus évident que la Suède était absolument perdue sans quelque mesure singulièrement énergique. Les hauts fonctionnaires, qui formaient le parti de la légalité, durent céder devant l’imminence du péril et l’anxiété de l’esprit public, et des officiers de la garnison de Stockholm, d’accord avec Adlersparre, se préparèrent à agir. À leur tête se trouvait le général baron Adlercreutz : il venait de terminer la campagne de Finlande. Après que le brave comte G. de Löwenhjelm (aujourd’hui ministre de Suède à Paris) avait été fait prisonnier par les Russes à la journée de Pyhejocki, le 16 avril 1808, c’était Adlercreutz qui avait pris le commandement ; il avait fait reculer l’ennemi, l’avait battu en plusieurs rencontres, et s’était finalement illustré par une belle retraite. Accablé par le nombre et par les fautes de son gouvernement, il avait du moins sauvé l’honneur suédois. Quand il rentra dans Stockholm, tous les regards se tournèrent vers lui, et l’opinion le désigna pour marcher courageusement avec Adlersparre vers l’accomplissement de l’œuvre d’où la Suède attendait son salut.

Tout à coup, le soir du 8 mais 1809, Gustave apprend du comte Stedingk et d’un émigré français, le colonel Rodais, qui lui restaient dévoués, que l’armée de l’ouest, révoltée, s’est mise en marche vers Stockholm ; c’est ce que tout le monde savait déjà depuis vingt quatre heures dans la ville. Gustave quitte aussitôt le petit château de Haga, près de la capitale, pour venir préparer le châtiment des rebelles et faire arrêter leurs complices ; mais une menace de délation arrête les magistrats, qui tous ont trempé au moins par leur silence dans la conjuration ; ils persuadent alors au roi que le danger est imaginaire, et cela au moment même où l’on presse l’arrivée du général Adlersparre et les dernières mesures. Il était convenu qu’Adlercreutz veillerait surtout à ce que Gustave ne sortit pas de Stockholm, parce que l’opinion des provinces ne semblait pas assez décidée pour éloigner