Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/237

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

repoussé le principe même. Ce principe, la Russie l’a rejeté avec une extrême netteté, on doit lui rendre cette justice, il faut seulement en conclure que ces négociations étaient frappée dès l’origine d’une virtuelle impuissance par la volonté arrêtée du cabinet de Petersbourg. On pourrait dire que la Russie les avait rompues avant qu’elles fussent ouvertes.

C’est donc ici pour les affaires de l’Europe le point de départ d’une phase nouvelle qui peut être féconde en incidens et en péripéties. La première et la plus grave question qui s’y rattache aujourd’hui sans aucun doute est celle de la politique autrichienne. Intéressée dans tout ce qui s’agite en Orient, mêlée au premier rang comme grande puissance dans la crise actuelle, liée à la France et à l’Angleterre par le traité du 2 décembre, l’Autriche est arrivée à un moment d’épreuve décisive pour son influence et sa considération. Il s’agit de savoir quelle idée elle se fait de son propre rôle, quel sens elle attache aux engagemens qu’elle a contractés. Malheureusement il est difficile de nourrir de grandes illusions sur la politique de l’Autriche. La dernière circulaire de M. de Buol, relative aux communications que le cabinet de Vienne avait reçues de la France à l’occasion de ce qu’on a nommé les propositions autrichiennes, un discours récent de lord Clarandon dans le parlement anglais, laissent peu de doutes sur l’attitude de notre alliée du 2 décembre. C’est l’attitude d’une puissance qui veut et qui ne veut pas, qui avait peut-être conçu plus d’espérances qu’il ne fallait de son intervention en faveur de la paix, et qui, émue de son insuccès même, se réfugie dans l’abstention justement à l’heure où la force des choses semblait la mettre en demeure d’agir. Un des traits les plus frappans de toute cette politique, c’est la contradiction permanente entre les paroles et les actes. Par les paroles, l’Autriche a été une grande puissance ; il lui resterait à montrer qu’elle l’est également par les actes. L’Autriche ne saurait s’y tromper : l’altitude qu’elle semble prendre, qui se dessine chaque jour davantage, n’est point une attitude de pure expectative ; c’est une situation parfaitement rétrograde, qui peut dégénérer en une véritable retraite. Il y a peu de temps, le gouvernement de l’empereur François-Joseph avait sur pied une armée puissante ; il sollicitait de l’Allemagne la levée des contingens fédéraux : aujourd’hui il réduit lui-même son effectif. À l’ouverture des conférences, M. de Buol disait que l’empereur acceptait les conséquences de son alliance, avec l’Occident, quelque graves qu’elles pussent être ; maintenant il déclare que l’Autriche attendra « de pied ferme la marche des événemens et le moment propice pour renouer des négociations de paix. » Chose étrange, dans cette même circulaire, le ministre de l’empereur François-Joseph affirme qu’il est d’accord avec la France sur la nécessité de réduire la puissance politique de la Russie en général ! Mais s’il en est ainsi, l’Autriche pense-t-elle que cette réduction de la puissance russe s’opérera toute seule ? Ou bien est-elle persuadée que les forces de la France et de l’Angleterre suffisent pour atteindre le but, sauf à se féliciter quand le résultat sera acquis ? Le cabinet de Vienne n’a point semblé dédaigner jusqu’ici ce rôle commode, qui consiste à attendre le bénéfice des événemens. C’est là cependant une route périlleuse par où l’Autriche pourrait arriver à un isolement complet. Le gouvernement autrichien est dans cette situation particulière, que son isolement même ne