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un éclair de polémique au sujet de Richelieu. M. de Sacy avait émis quelques doutes sur l’utilité réelle de l’œuvre du grand cardinal. Il s’était demandé si, en frappant à coups redoublés l’aristocratie, Richelieu n’avait pas détruit un intermédiaire utile, sans lequel un pays risque de flotter sans cesse entre l’anarchie et le despotisme. M. de Salvandy a défendu Richelieu, et il n’a point admis que la noblesse eût disparu à ce point de la France depuis le passage du cardinal ; il l’a montrée partout au contraire. La vérité est-elle dans le jugement de M. de Salvandy ou dans celui de M. de Sacy ? Elle est peut-être dans l’un et dans l’autre. Oui, sans doute la noblesse a continué d’exister — individuellement, si l’on peut ainsi parler ; elle s’est illustrée, mais elle n’a point été un corps politique, comme en Angleterre. Et n’est-ce pas là une des causes des perturbations qui ont rempli l’histoire de notre pays ?

Ainsi, même à l’Académie, surtout à l’Académie, pourrait-on dire aujourd’hui, se retrouve cette invincible préoccupation des destinées publiques, comme si, à tout prendre, il était difficile de parler de Richelieu, de Bossuet, de Montesquieu, sans revenir à tout ce qui nous émeut et nous intéresse, à tous les problèmes qui s’agitent encore. C’est le privilège et c’est aussi le péril des lettres contemporaines, de n’être plus seulement le luxe d’une société ordonnée, et polie ; elles touchent à tout, à la vie politique pour en exprimer les vicissitudes, à la vie morale pour en préciser les règles, aux événemens pour en dégager le sens, à l’histoire pour en résumer les lumières. C’est le côté par où les lettres sont une puissance. De cette sévère et forte inspiration est née l’Histoire de Jean Sobieski et du royaume de Pologne, que M. de Salvandy publiait il y a trente ans, et qu’il réédite aujourd’hui en y ajoutant des développemens nouveaux. Ce n’est plus ici la France de Richelieu ou de notre temps dont M. de Salvandy parlait l’autre jour à l’Académie ; c’est une France du nord, abandonnée et à demi éclipsée, que mille liens rattachent encore à la France du midi. Depuis le passage de Henri III sur le trône de Pologne, il semble que ce pays n’ait plus été un étranger pour nous, tant les rapports de goûts, d’affections et d’alliances se sont multipliés, et le malheur n’a fait que redoubler cet intérêt. Il y a trente ans, le livre de M. de Salvandy était une étude historique élevée et substantielle ; dans les circonstances présentes, il a presque le mérite de l’à-propos, car il remet à nu ces deux choses éternellement instructives : l’anarchie épuisant toutes les forces d’un peuple et une iniquité qui a laissé l’Europe sans défense sur un de ses points les plus vulnérables. La Pologne a péri par sa propre faille, cela n’est point douteux : l’héroïsme même n’a été qu’un piège pour elle, un moyen de se dissoudre avec toutes les apparences chevaleresques. C’était à coup sûr une gigantesque anarchie que cette république sans bases populaires, cette monarchie sans garantie de permanence et de durée, ces confédérations de seigneurs rebelles, ce liberum veto, qui, sous prétexte de sauvegarder la liberté individuelle, faisait de la volonté d’un seul l’arbitre des destinées du pays, en exigeant l’unanimité des suffrages dans le vote des lois. La décomposition d’un peuple par le vice de ses mœurs et de ses institutions est là tout entière palpitante et douloureuse. C’est le côté intérieur de l’histoire de la Pologne ; le côté européen, c’est le démem-