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Il reste peu de chose des monumens de cette époque, et surtout des monumens privés des Romains ; mais ce qui en reste est instructif et fait connaître ce qu’était le luxe de la république à ses derniers momens, les grandes existences qu’elle renfermait, et combien l’opulence démesurée de quelques citoyens et la corruption qu’elle entraînait étaient pour la liberté une cause de ruine.

Nul ne doute de cette vérité ; ce qui subsiste des jardins de Salluste est bien fait pour la rendre sensible. Quand on voit un homme comme Salluste, qui dans son histoire comprend si bien et déplore si énergiquement la dépravation de son siècle, qui aime si fort en théorie l’ancienne sévérité romaine, qui, même dans son goût d’écrivain pour les mœurs antiques, se plaît à employer les vieux tours et les vieux mots ; quand on le voit, par la mollesse de sa vie, par cette passion pour les richesses qui lui attira une condamnation de péculat, démentir scandaleusement le double archaïsme de ses maximes et de son style, ne sent-on pas que tout est perdu depuis que l’éloge de la vertu et la condamnation du vice ne sont plus qu’un exercice de rhétorique sans conséquence dans la pratique de la vie ? Ut declamatio fias.

Salluste écrivait son histoire, où respire l’honnêteté des âges simples, au milieu de ses magnifiques jardins, qui couvraient une partie du Quirinal. On y voit encore remplacement d’un cirque et les débris d’un temple de Vénus. Les vastes substructions qui soutenaient ses terrasses ressemblent presque aux substructions du palais des Césars. Cette fastueuse existence de Salluste était si bien une anticipation de l’empire, que plusieurs empereurs habitèrent sa demeure, entre autres Néron. Tandis que Rome voyait des particuliers jouir de ces immenses richesses, César trouva trois cent trente mille citoyens auxquels on distribuait du blé, c’est-à-dire qui vivaient de la charité publique. Il en réduisit le nombre à cent vingt-cinq mille ; il ne put faire davantage, tout César qu’il était. Cette populace de mendians fut l’appui du trône des empereurs, qui l’amusaient de spectacles et la nourrissaient d’aumônes. Panem et circenses.

Avant la fin de la république, les mœurs de l’empire existaient déjà. Un général romain, pour dédommager sa maîtresse de lui avoir, en le suivant à l’armée, sacrifié les plaisirs de l’amphithéâtre, faisait égorger un Gaulois devant elle. On croit en être à Héliogabale.

Ce sont de pareils traits qui, bien que l’imagination ne puisse écarter de tristes rapprochemens de décadence, font sentir que notre civilisation, animée d’un principe supérieur, n’est pas tombée jusqu’au degré où était alors descendue la moralité humaine, et permettent d’espérer que d’autres destinées l’attendent, qu’elle n’est