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pas menacée de se traîner à travers l’ignominie séculaire de l’empire romain.

Est-il étonnant dès lors que la pensée de l’empire flottât dans tous les esprits ? On s’y accoutumait, on y prenait par degré davantage, à mesure que la société se désorganisait plus profondément. Du reste, les noms seuls étaient nouveaux : on connaissait la tyrannie ; Sylla avait régné, il avait tellement régné qu’il avait abdiqué. Il est surprenant que le diadème essayé par Antoine sur le front de César, malgré les refus si sincères de celui-ci, ait soulevé tant de répugnances. Il faut que la comédie ait été mal exécutée, car on avait permis à César d’assister au spectacle assis sur un siège d’or, ce qui ressemblait beaucoup à un trône, une couronne d’or sur la tête. Ce fût le diadème au lieu de la couronne qui choqua les Romains ; mais le pas se pouvait franchir. On avait aussi accordé à Pompée quelques honneurs semblables : le sénat lui avait permis de porter habituellement la couronne triomphale. Sa statue du palais Spada montre le défenseur de la république, celui auquel on immolait César, tenant dans sa main un globe et une petite victoire ailée, comme on représenta depuis les empereurs. Peut-être pensa-t-il lui-même à le devenir. Ni Pompée ni César ne devaient être empereurs, mais l’empereur n’était pas loin.

Il y a au Vatican un admirable buste qu’on appelle le petit Auguste, et qu’on devrait appeler le jeune Octave. Quand on ne saurait rien de ce qu’on vient de lire, quand tout n’eût pas annoncé le changement qui allait s’accomplir, quand n’eussent pas existé à Rome la mollesse et la corruption que rappellent les jardins de Salluste, ce prolétariat mendiant pour lequel Pompée bâtissait son théâtre et ses portiques, auquel César ouvrait son forum ; quand les insignes de la puissance impériale ne se fussent point montrés par avance dans la main de Pompée et sur le front de César, il suffirait d’aller au Vatican interroger la figure d’Octave presque adolescent, ces traits délicats, qui ont encore un peu le charme de l’enfance, mais qui révèlent déjà tant de ruse et de fermeté, cette bouche fine et froide, ce regard implacable, ce jeune front si sombre, pour dire : l’empire est venu !


J.-J. AMPERE.