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Sakhar, qui a fait à lui seul jusqu’à présent tous les frais de la fête, n’a plus d’argent, il a même eu recours à un moyen extrême pour suffire à la dernière tournée : son kaftane est entre les mains de l’honnête aubergiste. On l’accueille avec des huées ; mais cette réception ne l’intimide nullement. Après avoir longuement examiné Sakhar pendant qu’il répond aux lazzis de la foule, le pêcheur se décide à l’aborder et lui propose d’entrer à son service. Malgré la modicité du salaire que Gleb lui offre, Sakbar, dont la bourse est à sec, consent à cette proposition, pourvu qu’il lui donne de l’argent d’avance. À peine a-t-il touché cette somme, qu’il crie aux Tatars de recommencer le spectacle et court chercher de l’eau-de-vie. Quant au pêcheur, il s’empresse de quitter cette scène de débauche, et reprend le chemin de la maison.

Le personnage de Sakhar, si vivement dessiné dès son entrée en scène, va tenir la première place dans le roman. C’est le type du jeune paysan, le représentant et l’introducteur des mœurs nouvelles au village. Fils de pauvres bourgeois, Sakhar a été placé par eux dans un atelier dès l’âge de sept ans, et il y est resté sans relâche jusqu’à dix-sept. À cette époque, ses parens étant morts, un de ses oncles, riche meunier, qui n’avait point d’enfans, l’a pris à son service. Les débuts de Sakhar dans la maison du meunier ne sont point heureux ; il se trouve bientôt mêlé, avec quelques autres jeunes gens de son âge, à des aventures qui appellent l’intervention du stanavoï[1]. Son oncle prend le parti de le tenir sévèrement ; il reconnaît bientôt que Sakhar est incorrigible. Quand il meurt, au lieu de laisser son bien à Sakhar, comme celui-ci le croyait, il le consacre à des œuvres saintes. Ce contre-temps oblige Sakhar à chercher un refuge chez son beau-père, autre meunier des environs. Il continue à y mener le même train de vie, et manifeste bientôt les mêmes prétentions. Le beau-père ne connaît pas encore son gendre à fond, il prend le mal en patience ; mais Sakhar pousse les choses un peu loin : lorsqu’il se trouve à court d’argent, ce qui lui arrive souvent, il dispose du bien de son beau-père, et particulièrement des sacs de farine qui sont en magasin ; il va les vendre secrètement au marché. La femme de Sakhar étant venue à mourir de chagrin sur ces entrefaites, à la suite des mauvais procédés de son mari, le vieux meunier s’empresse de chasser Sakhar de la maison. Réduit à gagner sa vie, Sakbar reprend son ancien métier ; mais il a désormais des habitudes et des prétentions qui ne conviennent nullement à un ouvrier. Buveur intrépide, joyeux convive, il se fait de nombreux amis. Chanteur aimable, il reçoit un jour les félicitations d’un seigneur campagnard et de ses nobles

  1. Commissaire de police de l’arrondissement.