Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/304

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et qui s’avisa de traduire à la scène les Grecs et les Romains, avec lesquels ses études de latiniste le mettaient en rapport. La tragédie antique vue à travers Sénèque, un mélange du théâtre de Shakspeare et des mystères du moyen âge, ici est le procédé dramatique de cet étrange précurseur, qui, si Goethe fut le Corneille de la scène allemande, en a été, lui, le Garnier. De nos jours, l’école romantique a repris divers sujets traités par Gryphius, entre autres cette amoureuse histoire de Cardenio et Celinde, empruntée dans l’origine à une nouvelle espagnole de Montalban, et qu’Arnim intercale en manière d’épisode dans son étrange comédie épique intitulée Halle et Jérusalem. Les Arméniens, la Mort de Papinien, Catherine de Géorgie, comment nommer tous les chefs-d’œuvre de Gryphius ?

J’en ai de violens, j’en ai de pitoyables.

Ce que dit dans Polyeucte cet excellent Félix de ses propres sentimens s’appliquerait à merveille aux innombrables pièces du dramaturge allemand. Il en a en effet de violentes où l’on voit, comme dans Catherine de Géorgie, l’héroïne écorchée vive au cinquième acte, et il en a de pitoyables, comme celle qui nous représente le roi Charles Ier d’Angleterre aux prises avec le bourreau. Gryphius a aussi transporté sur la scène allemande une version du Songe d’une nuit d’été, qui arrivait à lui défigurée par deux ou trois arrangemens successifs. On a quelque peine à comprendre comment une pareille comédie, enlevée ainsi du cadre poétique qui la relève et l’ennoblit, put réussir devant un public peu ou point au courant du répertoire anglais, et qui, partant, n’entendait rien aux allusions et aux parodies dont elle abonde. Néanmoins le succès fut très grand, en dépit, peut-être même, hélas ! faut-il le dire ? à cause des suppressions, corrections et transpositions du barbare arrangeur. Se figure-t-on le Songe d’une nuit d’été sans Titania ? Gryphius a payé d’un trait ce personnage ; il est vrai qu’en revanche il en ajoute plus d’un auquel Shakspeare n’avait point pensé, nommément ce fameux Pickelhaering, acteur indispensable de la farce allemande, et qu’un poète du bon temps se garderait fort d’omettre.

On le voit, c’est au génie dramatique de la vieille Angleterre qu’il faut s’adresser pour avoir le secret des origines du théâtre en Allemagne. La France eut certes aussi son influence sur cette partie de la littérature germanique, et je ne pense pas que personne au-delà du Rhin cherche à le contester ; mais cette influence vint plus tard, et s’exerça surtout, chez certains grands esprits que leur sens critique entraînait involontairement vers l’éclectisme. Les romantiques, plus naïvement poètes, plus religieusement inspirés, se bornèrent à remonter