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ces hommes altérés de représailles qu’il fond sur les révoltés, pille leurs territoires, rase leurs burgs et les emmène eux-mêmes prisonniers. « Infâmes, leur dit-il, vous tremblez pour vos têtes ; rassurez-vous, elles seront épargnées, bien que vous ayez mérité cent fois la mort ! Je vous réserve un autre châtiment. » Là-dessus il les conduit dans un champ, et choisissant entre eux les plus coupables, les attelant à la charrue, il se met à labourer le sol avec ce bétail humain, qu’il chasse devant lui à coups de fouet jusqu’à ce que la terre soit pleinement retournée. Le landgrave fit ensuite entourer ce champ de pierres et le libéra de toute redevance. Aujourd’hui encore, on montre, à Freiburg-sur-l’Unstrut, cette place fameuse, qui a conservé le nom de Champ des Nobles. Les prisonniers châtiés de la sorte eurent à prêter un nouveau serment au landgrave. On devine dans quelles conditions ils s’y résignèrent ; aussi Louis, se tenant sur ses gardes, revêtit à cette occasion une cuirasse de fer qu’il portait toujours, et d’où lui est venu son surnom dans l’histoire.

Nulle existence plus que celle du personnage dont je parle n’offre cette union de la légende et de l’histoire dont s’accommoda de tout temps le drame populaire. Avec les élémens romantiques qui la composent, la vie de Louis le Ferré devait tenter un poète, et c’était bien là un sujet digne d’inspirer le génie d’Arnim. Le Coq de bruyère est la vie de Louis le Ferré, mise en action dans le style de ces drames populaires où la légende et l’histoire se confondent. À coup sûr on ne doit point s’attendre à rencontrer ici l’idéal des tragédies de Goethe et de Schiller. Les caractères sont brutalement accusés, et l’action s’enchaîne et se dénoue bien moins par les habiles combinaisons de l’art que par ce que j’appellerai la force des choses. Peu de souci du détail, plus d’élan poétique et de spontanéité que de réflexion ; mais en revanche, dans l’ensemble, je ne sais quelle grandeur fruste et sauvage, quelle impétuosité, quelle furie de touche. De vastes horizons largement peints, des masses dramatiquement disposées, le fracas musical de l’opéra dans la tragédie, une peinture à fresque emportée de main de maître, ici est le théâtre d’Arnim, théâtre, je le répète, plus voisin de Shakspeare que de Goethe et de Schiller, et qui, depuis le choix du sujet jusqu’au style du dialogue, réunit, selon moi, toutes les conditions du genre populaire, je dirais du mélodrame, n’était l’idée anti-littéraire que provoque chez nous ce mot d’une signification néanmoins très vraie et très caractéristique. Au reste, l’analyse de cette histoire romantique intitulée le Coq de bruyère et de nombreuses citations de cette œuvre, aujourd’hui encore si peu connue des Allemands eux-mêmes, nous semblent les meilleurs argumens à donner, et le lecteur nous saura gré de les produire en abondance.