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que ces bâtards qu’il vient de renvoyer ignominieusement ont à réclamer chacun une part de son héritage.

« HENRI LE FERRÉ au chancelier. — Cette volonté dont vous êtes le dépositaire, pouvez-vous m’en exposer les termes ?

« LE CHANCELIER. — Hélas ! monseigneur, je ne sais si je dois… Tout ce que je puis dire, c’est que les bornes de vos états sont très circonscrites, et que le landgrave confère par cet acte la plupart de vos grands domaines à ses enfans du côté gauche.

« HENRI. — En vérité, mon digne chancelier ! Et sans doute aussi je dois pourvoir à ce que ces domaines se trouvent dans les meilleures conditions : les burgs bien remplis de soldats et de vivres, les coffres largement fournis d’espèces, les armoires de vaisselle d’or, les écuries de chevaux, et les étables de bétail ?

« LE CHANCELIER. — Telle est sa volonté suprême.

« HENRI. — Et pour enrichir leurs celliers, ne donnerai-je point aussi mes plus vieux vins ? Et quand ils dormiront, ces chers petits anges, n’aurai-je point à me tenir là pour chasser les mouches ?

« LE CHANCELIER. — Revenez à vous, monseigneur, et songez aux biens immenses que vous a ménagés l’économie de votre père ; pensez aussi que ces enfans furent l’unique consolation de ses derniers jours !

« HENRI. — et moi, n’étais-je rien pour lui ? N’y avait-il donc que le vice pour lui enseigner le chemin de l’amour paternel, et pourquoi m’a-t-il dès mes jeunes ans éloigné de sa présence, livrant ma vie à tous les hasards, à tous les expédiens de la guerre, devenue pour moi un métier, une sorte de gagne-pain, quand elle aurait dû n’être qu’un passe-temps chevaleresque ? Parce qu’il avait contraint ma mère à entrer dans son lit par violence, était-ce une raison pour haïr l’enfant de ce lit ? Oh ! que de calamités et de misères cet homme n’a-t-il pas amoncelées sur le passé, sur le présent, sur l’avenir ! Ses arrogans décrets me font prendre en horreur ceux-là que j’aurais pu chérir comme des frères, s’il les eût confiés à ma générosité. Non, je ne me dessaisirai pas pour eux de ces domaines ! Par la mort-Dieu ! qu’ils y renoncent ! J’aimerais mieux les donner à l’église ! »


Ce testament néfaste qui, dans le cœur de Henri le Ferré, ravive tant de récriminations et de haines, l’empereur l’a sanctionné, les princes de sa famille l’ont reconnu ; impossible d’y rien changer ! Aussi quelle fureur et quels blasphèmes ! « Cher neveu, dit-il à Günther, veille qu’après ma mort je sois enseveli loin de mon père, car je sens que là où repose mon père, il ne saurait y avoir de paix pour moi, et dans ce château où il a vécu pèse une atmosphère de colère, de discorde et de scandale qui me suffoque. » Mais nous ne sommes encore qu’au début, et d’autres articles de l’acte posthume du premier landgrave vont révéler de bien plus infernales dispositions. Henri le Ferré a trois enfans, deux fils et une fille, Henri, Othon et Jutta. L’implacable aïeul, après avoir de son vivant retenu