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ces enfans loin de leur père, après les avoir élevés, selon que leur naturel y semblait incliner davantage, — celui-ci, l’aîné, pour les ordres, — celui-là, le cadet, pour les armes, — a voulu encore régler du fond de son tombeau la destinée de Jutta, et sa volonté suprême est qu’elle épouse Ottnit. Par ses soins, les deux jeunes gens se sont connus, lui-même a ménagé ces premières entrevues, lui-même a présidé à leurs fiançailles, et si bien arrangé toute chose que déjà les cœurs ont parlé. À de si abominables desseins, Henri le Ferré refuse d’abord de croire. À mesure qu’on avance, les termes du testament deviennent de plus en plus outrageans. Marié en secret avec la mère d’Ottnit, le vieux landgrave, avec l’assentiment des princes de sa famille et la sanction de l’empereur, a reconnu à cet enfant tous les droits d’un fils légitime, et cette décision, Ottnit seul l’ignore, son père ayant voulu éviter de lui offrir par là un sujet de s’estimer au-dessus des bâtards ses frères.

Les transports de sa colère un moment apaisés, Henri demande ses enfans. Othon paraît d’abord, Othon, le fier, l’aventureux jeune homme dont les instincts guerriers, opposés à la vocation mystique de son frère aîné, ont amené l’aïeul à intervertir en sa faveur l’ordre de succession, privilège que Henri va se refuser à reconnaître, dût-il, pour rétablir les droits héréditaires, faire violence à la nature. Dès les premiers mots que le fils échange avec son père, l’ombre du vieux landgrave semble sortir du sol pour se dresser entre eux. « Quelle joie de vous revoir ! s’écrie Othon en s’élançant dans les bras de Henri ; quand la voix du sang ne me dirait pas qui vous êtes, comment pourrais-je m’y tromper lorsque vous ressemblez tant à notre aïeul de bienheureuse mémoire, et qui s’en est allé là-haut sans avoir la consolation de vous embrasser comme je fais ! — Silence ! répond Henri, ne prononce jamais ce nom devant moi ; j’ai peu de temps, es-tu disposé à m’obéir ? » Et là-dessus il dicte à Othon ses volontés imprescriptibles. » Mon père destinait votre frère à la vie monastique, et selon ces projets vous deviez, vous, régner après moi ; mais votre frère est l’aîné et ne saurait renoncer au droit qu’il tient de sa naissance. Vous allez donc, dès aujourd’hui, vous rendre à Cologne pour vous y livrer à des études qui vous conduiront infailliblement aux plus hautes dignités de l’église. » Othon résiste, il met en avant ses goûts et ses habitudes. « Autant, s’écrie-t-il, vaudrait me dire d’apprendre à coudre et à filer comme une femme. » Henri demeure inexorable. D’ailleurs la vie du cloître n’est point telle qu’on se l’imagine ; il y a aussi moyen de s’amuser dans la docte et belle Cologne, et la théologie n’exclut ni la chasse ni l’amour. Ainsi s’écoule la jeunesse, puis viennent les dignités : on est évêque, électeur, et la part qu’on a dans les grandes affaires de ce monde ne le