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chancelier a bientôt reconnu le fils de son maître, il va instruire Othon des événemens survenus à la Wartbourg, et par lesquels il se trouve appelé à la couronne, lorsque tout à coup le duc de Clèves apparaît au bout d’une allée. « Chut ! s’écrie en s’éloignant le fils du landgrave, et souvenez-vous, jusqu’à ce que je vous explique ce mystère, qu’il n’y a point ici de prince de Thuringe, mais tout simplement Othon l’archer. »

Le duc de Clèves a vu de sa fenêtre la scène qui vient de se passer, et son premier mouvement est d’interroger le pèlerin sur les titres, noms et qualités du personnage devant lequel il tombait à genoux tout à l’heure. Le chancelier de Hombourg commence par éluder la question, mais son altesse n’est point homme à se payer de vaines défaites. « N’essayez pas de me tromper davantage, poursuit le prince, je vous ai vu de cette fenêtre verser des larmes de joie et vous prosterner à ses pieds en le retrouvant ; or ce n’est point ainsi qu’on se salue entre égaux, et à moins que cet archer ne soit un saint, ce que je ne puis guère supposer… Et vous-même, plus je vous examine, plus il me semble vous reconnaître, bien qu’à vrai dire mon grand âge m’ait quelque peu brouillé avec les physionomies. Parlez, qui êtes-vous ? » Henri de Hombourg se nomme et raconte au duc de Clèves les récens désastres qui ont frappé la maison de ses maîtres, la mort tragique du fils aîné du landgrave, ainsi que la disparition de Jutta et d’Othon que l’on croit perdus, sur quoi le vieux prince, l’interrompant : « Très bien, mon digne compère, je n’ai pas besoin d’en apprendre davantage, et votre joie vous a trahi. Oui, faites l’étonné ! Je vous dis, moi, que je sais maintenant tout ce que je voulais savoir, et que l’archer Othon n’est autre que le second fils de votre maître. »

« LE CHANCELIER. — Quelle idée, monseigneur ! qui pourrait vous porter à croire ?… A coup sûr je n’ai rien dit qui…

« LE DUC DE CLEVES. — Je vous répète que je ne me trompe pas, et que bien lui en prend d’être ce qu’il est, car tout à l’heure, à cette même place, je l’ai surpris causant avec ma fille sur un ton de familiarité criminelle. Déjà ma main avait armé mon arc, et la flèche allait frapper au cœur cet arrogant vassal ; c’est alors que vous êtes survenu, et que les marques de déférence que vous lui prodiguiez m’ont fait suspendre son châtiment.


« LE CHANCELIER. — Je vois qu’il est inutile de prolonger le mensonge. Oui, prince, Othon est l’héritier du trône ; il aime votre fille et veut tenter la fortune de l’amour sans rien devoir à l’éclat de son rang ni à la gloire de ses aïeux. Pardonnez-lui, monseigneur.

« LE DUC DE CLEVES. — Eh ! que parlez-vous de pardonner ? Othon est le meilleur archer qu’on renomme, et je crois, Dieu me damne ! que je lui donnerais ma fille si c’était l’unique moyen de le garder auprès de moi. Je ne connais pas d’homme qui me plaise davantage, et si le ciel n’eût pris soin de