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de nouveau. Si Dieu n’a pas permis à l’aveugle jalousie d’Othon d’accomplir son crime, la terrible scène qui vient de se passer a produit sur Elisabeth une commotion foudroyante. Aux sinistres éclairs de ce poignard, dont la lame a effleuré son sein, qu’empourprent quelques gouttelettes de sang, — collier de rubis sur l’albâtre, — la timide jeune fille a senti les ressorts de la vie se briser en elle. Évanouie et se voyant au moment de rendre l’âme, elle s’est donnée tout entière à la Vierge, et ce vœu tacite qu’elle a prononcé au fond de sa conscience, dans le crépuscule de l’être et du non-être, lui revient au cœur et à l’esprit lorsque ses sensations se réveillent. Vainement Othon implore pitié, vainement le vieux duc de Clèves joint ses larmes paternelles aux sanglots du fongueux amant : la douce et chaste jeune fille ne se laisse toucher ni par le désespoir ni par les remontrances, et sans amertume comme sans regrets appareils, le sourire des anges sur les lèvres, prend au milieu de ses compagnes le chemin du cloître, où désormais Dieu seul aura les confidences de cette âme de sensitive mortellement froissée au premier souffle des passions. En véritable héros du moyen âge, Othon se décide alors à échanger la vie des armes contre l’austérité monastique, et la grâce opérant son miracle, il ressaisit spontanément ce froc que l’inexorable volonté de son père, le landgrave au cœur de fer, fut naguère impuissante à lui faire endosser. Henri le Ferré survient au moment où les portes du sanctuaire viennent de se refermer sur Elisabeth, et où l’aventureux archer a fait serment d’entrer sur ses traces dans la voie du Seigneur.


« HENRI. — Que signifient ces chants lugubres ? Pour qui tinte cette cloche ? (Des jeunes filles descendent en pleurant les marches de l’église.) Dites-moi, vous autres, que se passe-t-il donc ?

« UNE JEUNE PILLE. — Belle et noble princesse ! renoncer ainsi au monde et à ses pompes ; quant à moi, je n’aurais pas ce courage, et pourtant je ne suis ni princesse, ni belle !

« HENRI. — Là, répondrez-vous ? Quelqu’un est-il mort céans ?

« UNE DEMOISELLE. — Elisabeth, la fille du duc de Clèves, prend le voile et se fiance à Jésus-Christ notre Seigneur !

« HENRI. — Me prend-on pour un enfant, et se moque-t-on de moi ? Elisabeth au cloître, quand l’heure va sonner de son mariage avec, mon fils ! (Passe le duc de Clèves) Ah ! c’est vous, Hubert ; pourquoi ces larmes ? Serait-ce vrai ?

« LE DUC. — Ne m’interrogez pas, mes dernières forces s’éteignent ; voilà donc mes états destinés à tomber en des mains étrangères ! O sainte fille, prie pour ton pauvre père. (Il s’éloigne.) »


À ce nouveau coup, le landgrave, demeure consterné, et quand il apprend que l’unique fils qui lui reste a résolu de se faire moine,