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Qu’importent les ténèbres ? les lueurs sinistres de l’acier éclaireront toujours assez la place du combat. « Qui vive ? s’écrie le landgrave d’une voix sourde et dont il s’efforce de déguiser l’accent, qui vient ainsi dans l’ombre braconner sur les terres de mon maître le seigneur de Clèves ? Par tous les diables de l’enfer, je la lui garde bonne ! »

Or celui qui s’entend provoquer de la sorte n’est pas Ottnit, comme on le suppose, mais le propre fils du landgrave, Othon, que la fatalité pousse au-devant de l’épée meurtrière. Quand une race doit tomber, la terre s’entrouvrirait plutôt pour l’engloutir. Dans le prétendu garde-chasse du duc de Clèves, Othon ne reconnaît pas son père ; il est vrai qu’il pourrait se nommer, mais un motif secret l’en empêche. Au moment où cette brusque interpellation arrive à son oreille, l’infortuné jeune homme allait escalader les murs du cloître d’Elisabeth, vers qui le ramène irrésistiblement la violence d’une passion qui désormais a prévalu contre les plus fermes desseins. Sur la menace de Henri, Othon dégaine ; on se cherche, on se trouve, on se heurte. Au milieu des ténèbres, un duel s’engage, duel acharné, féroce, qui se termine par la mort d’Othon. Le père a tué son fils, et c’est au moment où sa victime expire que la vérité apparaît dans toute son horreur aux yeux de cet Atride du moyen âge, deux fois teint du sang de ses enfans !

« HENRI. — Que là où mon épée rencontrera ton épée, soit la place du combat ! (Ils croisent le fer.)

« OTHON. — Trêve aux amours ! trêve aux souffrances ! Dans l’ivresse du combat, aux éclairs de l’acier, tout s’évanouit comme aux lueurs de l’aube nouvelle.

« HENRI. — Bien frappé ! Je crois, Dieu me damne, que ma haine, sur ce terrain de mort, se change en estime. Je n’ai jamais rencontré si vaillant adversaire. Même chez les bâtards se retrouve le sang des aïeux.

« OTHON. — Patience ! Tes aïeux, tu ne vas pas tarder à les rejoindre. Qui de nous d’ailleurs sait quel est son père ?

« HENRI. — Tiens, pare ce coup, c’est le bon !

« OTHON. — En effet, je suis touché ! Mais, crois-le bien, tu ne m’aurais pas atteint si mon pied n’eût pas glissé dans le sang ! Qui a vaincu ?

« HENRI. — La mort !

« OTHON. — Oui, la mort ! de l’air, j’étouffe ! Ah ! Elisabeth ! Elisabeth !

« HENRI. — Que divagues-tu d’Elisabeth ?

« ELISABETH, apparaissant derrière les grille de sa cellule – Quel bruit d’épées trouble la sainte solitude de ces lieux ? Une voix connue a prononcé mon nom. Est-ce vous, âmes des trépassés, qui flottez dans les vents ? Que la paix du Seigneur vous accompagne !

« OTHON. — C’est Othon qui t’appelle avec le dernier souffle de sa vie. Ame sainte, prie Dieu pour lui, et veille qu’on lui creuse une fosse dans ce voisinage ; il l’aimait tant, qu’il n’a pu résister au désir de te le dire une