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même nous apprend que la jolie fable de la Laitière et le Pot au lait était une farce ancienne :

Le récit en farce en fut fait ;
On l’appela le pot au lait.


En regard d’une production aussi active, il est curieux de remarquer que le moyen âge n’a pas connu la tragédie. De ce côté-là, il en est toujours resté aux mystères. Ceux-ci sont fort anciens ; ils remontent jusqu’aux XIe et XIIe siècles, précédant naturellement tout le reste du théâtre ; mais, au lieu de se développer, comme dans la Grèce antique, en actions qui, tout en tenant à l’histoire religieuse, y introduisaient une vie plus humaine, les mystères s’arrêtèrent au premier seuil et ne firent jamais que mettre en scène les récits des livres saints. Aucun génie hardi ne se sentit inspiré à toucher les âmes par le spectacle des destinées de l’homme en conflit avec les sévérités ou les faveurs du ciel.

Et pourtant ni le talent ni le génie ne manquaient. Si les chansons de geste ne se sont pas élevées jusqu’au génie, plusieurs se sont élevées jusqu’au talent. La gloire de Charlemagne, les désastres de Roncevaux, l’héroïsme de Roland et de ses compagnons, les âpres mœurs de la féodalité peintes avec tant de vigueur dans Raoul de Cambrai, le vaillant Gérart déchu de ses grandeurs et solitaire avec sa femme fidèle dans une forêt, la lutte avec une religion ennemie, tout ce mélange de fiction et d’histoire composait un fonds qui valait certainement Oedipe et sa famille, les Atrides et Troie, et qui néanmoins s’éteignit sans rien produire de tragique. Ce ne fut pas non plus du côté de la tragédie que se tourna le grand génie poétique du moyen âge, Dante, qui rivalise avec Homère, et dont le poème l’emporte sur l’Enéide, si le poète ne l’emporte pas sur Virgile. Cette Divine Comédie, si riche en épisodes ou touchans ou terribles, n’a, malgré son titre, rien de commun avec le théâtre. Décidément les temps n’étaient pas venus, et le moyen âge ne pouvait dépasser, soit d’un côté les mystères, soit de l’autre les farces.

Tout à l’heure, en regard de l’antiquité, j’ai mis non pas seulement la France ou l’Italie, mais les deux pays conjointement ; même je ne m’arrêterais pas là, et j’y mettrais tout l’Occident chrétien. Rien, à mon sens, de plus intéressant et de plus fructueux que de comparer le moyen âge avec l’antiquité, dont il dérive pour la langue, pour les institutions, pour les sciences, pour les lettres, pour les arts. Seulement il faut se faire une idée exacte du champ de la comparaison. L’antiquité classique n’est pas simple, elle est formée de deux parties distinctes qui font un seul corps, la Grèce et Rome, le grec et le latin, Homère et Virgile, Démosthène et Cicéron, Thucydide