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dans le Patelin. On y trouve vraiement, hardiement, loyaument, qui sont les formes correctes, au lieu de vraiment, hardiment, loyalement, qui sont des formes incorrectes. L’adverbe roman est formé de l’adjectif avec la terminaison ment, qui, étant le substantif latin mens, esprit, est du féminin. De là vient que, dans l’adverbe, l’adjectif est toujours au féminin, et que nous disons bonnement, c’est-à-dire « d’un esprit bon. » Pour cette raison aussi, nos aïeux disaient : vraiement, hurdiement, transformés, quand on eut perdu le sens primitif des mots, en vraiment, hardiment, c’est-à-dire un adjectif masculin avec un substantif féminin. Quant à loyalment (prononcé et souvent, comme ici, écrit loyaument), il est régulier, puisque loyal est un de ces adjectifs qui avaient le féminin semblable au masculin. Et nous, en disant loyalement, nous avons, à la vérité, rétabli l’accord de ment avec son adjectif, comme nous le déclinons maintenant, mais troublé l’analogie, puisque, dans l’état actuel, parmi les adverbes, les uns ont l’adjectif au masculin et les autres au féminin, tandis que, dans l’ancien français, il est absolument impossible de rencontrer aucune dérogation à la formation régulière de l’adverbe.

Si dans le Patelin l’orthographe des adverbes est conforme à l’ancienne règle, il n’en est pas de même de la prononciation, qui varie, et tantôt est l’ancienne, tantôt la moderne. Je rencontre deux fois hardiement :

Si me desmentez hardiement (v. 74).


Et :

Dites hardiement que j’affole (v. 1186).


Antérieurement, cet adverbe aurait été de quatre syllabes ; ici, il n’est que de trois, comme nous faisons aujourd’hui (les vers du Patelin sont des vers de huit syllabes à rimes plates). Peut-être, si ce mot se rencontrait plus souvent dans la pièce, on le trouverait valant quatre syllabes. Du moins une telle variation se voit pour vraiement, toujours écrit de la sorte, à l’antique, mais valant parfois trois syllabes, et deux parfois. Dans ce dernier cas, il se prononçait comme aujourd’hui. D’autre part, dans des vers comme ceux-ci :

Quel drap est ce cy ? vrayement (v. 208) ;
Je m’en garderay vrayement (v. 1178),


et plusieurs autres exemples que je pourrais citer, il est, comme le prouve la mesure, de trois syllabes. Le nouvel éditeur du Patelin ne dit pas comment il pense que nos aïeux prononçaient ce mot d’une façon trisyllabique ; mais il donne une règle générale qu’il formule ainsi ; « Les voyelles i, u, accompagnées d’une autre voyelle, avec