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une des conditions de la transformation d’un mot latin en un mot français est la chute des consonnes intermédiaires. Ainsi securus fait seür, maturus fait meür, redemptio fait reançon, traditor fait traïtre, castigare fait chastier, et ainsi à l’infini. Penser que dans ces cas il y a eu une consonne intermédiaire toujours prononcée et jamais écrite, c’est aller contre le témoignage perpétuel de l’écriture d’une part, d’autre part contre le témoignage même du français moderne, car si une consonne intercalaire avait été prononcée, il n’y aurait eu aucune raison pour que les mots seür, meür, reançon, traïtre, etc., se réduisissent en une contraction qui est évidemment le résultat uniforme de la fusion de deux voyelles consécutives sans aucune consonne intermédiaire. Enfin on a, en quelques cas, la trace qu’en effet nulle consonne ne s’interposait. Ainsi le mot traïtre, qui est devenu traître, se trouve parfois écrit trahitre, ce qui ne se pourrait si en effet une consonne avait été prononcée, sans être écrite, entre les deux voyelles. Passe-t-on de l’intérieur des mots à l’examen de leur rencontre, c’est la même chose : les hiatus se présentent en foule. Il n’est besoin que de lire quelques vers pour se convaincre que les anciens poètes n’évitaient pas le concours des voyelles, du moins sur le papier. Supposera-t-on qu’en lisant à haute voix ou en récitant, on les évitait de fait par l’intercalation de consonnes ? C’est ce que pense M. Génin ; mais cette supposition n’a pas en sa faveur des témoignages contemporains, et, faute de ces témoignages, elle reste une supposition. D’ailleurs l’idée qu’on se fait de l’euphonie et de la nécessité d’éviter les hiatus est une idée toute relative et variable. Il y a des langues qui recherchent le concours des voyelles, et l’on sait que le dialecte ionien, renommé pour sa douceur, se distinguait justement par là des autres dialectes de la Grèce. Il y a des hiatus durs sans doute à l’oreille, du moins à l’oreille française et de notre temps ; mais il y en a aussi de fort doux, et là-dessus, au fond, la règle est (hiatus ou non) celle de Boileau :

<poem>Fuyez des mauvais sons le concours odieux.<poem>

Je crois même qu’on peut reconnaître des indices montrant qu’à une certaine époque nos aïeux ont recherché les hiatus. Pour les très anciens textes, on trouve les troisièmes personnes du singulier des verbes écrites avec unt ; — il at pour il a ; il aimat pour il aima, il donet pour il donne, etc. C’est manifestement le t latin : habet, amavit, donat. Devant une voyelle, le t de amat se prononçait il ? Je n’en sais rien ; cela est possible, bien que ce ne soit pas sûr, car il est certain que le t de donet ne se prononçait pas. Puis, quand on quitte ces textes très anciens et que l’on passe à l’âge immédiatement suivant, on trouve que les t sont tous omis ; on n’écrit plus que