Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/369

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’en dirai autant de l’opinion de Pasquier, qui attribue la locution proverbiale payer en baye au Patelin, ou du moins je pense que cet auteur a fait quelque confusion. On sait que le berger Aignelet, continuant à répondre à toutes les demandes d’argent, paie son avocat en . Il est possible que payer en baye vienne de là ; cependant l’orthographe excite déjà quelque doute, car on ne voit pas comment aurait été changé en baye, ou plutôt on le voit très bien, et l’on reconnaît la confusion quand on se rappelle qu’il y avait une ancienne locution, — faire payer la baie, — qui signifiait « être cause d’une attrape, d’une déconvenue. » Elle se rencontre dans les Cent Nouvelles nouvelles[1], recueil qui a été composé durant le temps de la jeunesse de Louis XI. On touche du doigt la méprise. Il y avait une ancienne locution : faire payer la baie (remarquez, la baie, et non en baie) ; d’un autre côté, Pasquier se rappelait qu’Aignelet avait payé son avocat en . De là une confusion par laquelle lui ou peut-être l’usage avait changé la vieille locution pour l’accommoder à celle que suggérait la farce de Patelin ; mais, cela reconnu, on ne peut pas tirer la conséquence que M. Génin avait tirée, à savoir que, quand les Cent Nouvelles nouvelles furent composées, le Patelin existait déjà et avait gagné la faveur publique, puisqu’elles en avaient emprunté une phrase caractéristique. L’argument tombe du moment que faire payer la baie et payer en bê ou en baie n’ont plus rien de commun. Maintenant, d’où vient cette locution faire payer la baie, qui n’est pas et ne peut pas être  ? Il y a dans le français actuel un verbe bayer qu’on doit prononcer comme payer, mais qu’une prononciation vicieuse tend constamment à confondre avec bâiller, et qui, pour cette raison, tombe en désuétude. Autrefois, c’est-à-dire dans les XIIIe et XIIe siècles, il s’écrivait beer. Ce verbe avait un substantif bée, qui est devenu baie, comme béer devenait bayer, et qui signifiait vaine attente. Voyez ces vers du Lai du Conseil :

Dame, gardez-vous de la bée
Qui, en maint lieu, par la contrée
S’areste et fait la gent muser ;

et ceux-ci : — la dame,

Par ici bée, par ici désir,
Passe tant vespre et tant matin,
Que sa biauté va à déclin.

Dans une chanson du XIIIe siècle, de Hugue de Lusignan, une jeune pastourelle repousse un chevalier qui la trouve seule et lui tient doux langage ; puis, quand elle le voit s’éloigner, elle lui crie :

  1. T. 11, p. 102, édition de 1843.