Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/374

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je viens de soumettre, sous les yeux du lecteur, la pièce de Patelin à un examen grammatical véritablement microscopique ; j’en ai considéré les formes archaïques, j’ai recherché celles qui montrent la transition à l’usage moderne, j’ai compté les syllabes des vers ; il en résulte que le Patelin est écrit avec une grande correction, que la versification en est exacte et soignée, et qu’il sort d’une main littéraire, d’un homme habitué à tenir la plume ou du moins à manier sa langue. Il en résulte aussi que M. Génin a singulièrement purgé de leurs erreurs les textes qui nous ont été transmis, et redonné régularité à ce que les copistes ou imprimeurs avaient souvent estropié, élégance à ce qu’ils avaient défiguré, et clarté à ce qu’ils n’avaient pas compris. Nous citerons comme exemple ce vers que les éditions ou les manuscrits mettent sous la forme : Or charnouart austiné ; ou bien : or cha Renouart à tiné ! Cela est parfaitement inintelligible. « D’autres, dit M. Génin dans sa préface, ont corrigé ici Renouart ostiné ; c’étaient les Brunck et les Bentley de la philologie française au XVIe siècle. J’imagine qu’on les eût fort embarrassés de leur demander qui était ce Renouart et sur quoi portait son ostination. » L’éditeur se moque ici des érudits qui suppléent par des conjectures téméraires à ce qu’ils ignorent ; mais, ne lui en déplaise, il a été en ce cas-ci, grâce à sa grande érudition en notre ancienne littérature, un Brunck, un Bentley de bon aloi, en reconnaissant sous ce texte altéré une allusion à une ancienne chanson de geste. Il faut lire (c’est le moment où Patelin parle picard, et chà est pour ça) :

Or cha, Renouart au tiné (v. 886).

Renouart est le héros d’une des branches du roman épique de Guillaume au Court-Nez, Renouart, avant d’être un héros, était marmiton à Laon, dans les cuisines du roi. Prêt à suivre Guillaume d’Orange à la guerre, ce nouvel Hercule va couper dans les jardins un gros sapin qu’il fait cercler de fer, et il s’en escrime si bien, que de ce tinel, c’est-à-dire de cette massue, lui est demeuré le sobriquet de Renouart au Tinel. Sa renommée, grande au XIIIe siècle, durait encore au XVe comme le prouvent les mots du Patelin. Il en était de même de Roncevaux. Quand Patelin dit : Je scay aussi bien chanter

Que se j’eüsse esté à maistre (à l’école)
Autant que Charles en Espaigue (v. 26),

il fait allusion à ces vers :

Charles li rois, nostre empereres magne,
Set ans tout pleins a esté en Espaigne ;

allusion qui ne pouvait échapper au savant éditeur de la Chanson de Roland.