Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/420

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans Mme de Maintenon, en dépit du préjugé public à son égard, un goût de la perfection, et par conséquent du progrès et de l’innovation, qui touche à la chimère, du côté où la chimère touche à l’idéal. C’est une grande erreur de se représenter Mme de Maintenon comme un esprit ferme jusqu’à être étroit, méthodique jusqu’à être routinier, qui n’eut jamais ni ardeur, ni enthousiasme, ni engouement, et qui méprisait ou craignait toutes les nouveautés. Mme de Maintenon était un esprit ardent, désireux du bien, croyant à l’empire de la raison[1] ; mais cette ardeur de zèle et ces élans vers le bien étaient réglés à la fois par le bon sens, qui était le propre de son génie, et par la défiance de soi-même qu’inspire le christianisme.

La fondation de Saint-Cyr ne fut pas seulement une grande et magnifique charité inspirée à Louis XIV par Mme de Maintenon. Ce fut plus : ce fut une grande innovation. Saint-Cyr en effet n’est pas un couvent, c’est un grand établissement consacré à l’éducation laïque des demoiselles nobles, c’est une sécularisation hardie et intelligente de l’éducation des femmes. En fondant Saint-Cyr, Mme de Maintenon voulait élever non des religieuses, mais des mères de famille, des femmes destinées à vivre dans le monde ; elle avait seulement le projet de les y faire vivre avec plus d’esprit, plus d’instruction et plus de vertu en même temps que n’en comporte le monde. Une fois donc que Mme de Maintenon n’a plus à nos yeux cet air sec et dur que la tradition lui a prêté, une fois qu’elle est un peu novatrice, nous pouvons, sans inconvénient et sans inconvenance, comparer ses idées sur l’éducation des filles avec celles de Rousseau.

Mme de Maintenon aussi bien n’est pas le seul novateur de son temps en ce qui touche l’éducation des filles. En 1681, c’est-à-dire cinq ans avant la fondation de Saint-Cyr, Fénelon, dans son Traité de l’Education des Filles[2], montrait combien il est important de bien élever les filles : « Ne sont-ce pas, dit-il, les femmes qui ruinent ou qui soutiennent les maisons, qui règlent tout le détail des choses domestiques, et qui par conséquent décident de ce qui touche le plus à tout le genre humain ? » Il faut donc, dans l’intérêt des familles et dans l’intérêt de l’état, « qui n’est que l’assemblage de toutes les familles, » que les femmes soient bien élevées. Suffit-il pour bien élever une fille de la mettre au couvent ? Les bons couvens assurément valent mieux que les familles licencieuses ou frivoles, mais

  1. « Vous savez, dit-elle dans un de ses Entretiens, que j’aime mieux persuader que soumettre, et qu’on me reproche que ma folie est de vouloir faire entendre raison à tout le monde » (Entretiens, éd. Lavallée, p. 11.)
  2. Le Traité de l’Éducation des Filles fut composé en 1681 ; mais il ne fut publié qu’en 1687, un an après la Fondation de Saint-Cyr, quand cette fondation venait de mettre en lumière l’importance de l’éducation des filles.