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l’ennuyé. Le ménage est un tracas et une fatigue ; il faut sans cesse surveiller, ordonner, réprimander, presser. Le commandement n’est pas une charge qui soit douce dans le monde, pas plus quand il s’agit d’un ménage à conduire que quand il s’agit d’un état à gouverner. Il y faut une attention et une activité perpétuelles. Point de mollesse, point de relâchement. Qu’on ne croie pas que les choses du ménage aillent toutes séides et qu’une maison, une fois arrangée, n’ait plus besoin que d’être remontée tous les quinze jours ou tous les mois comme une bonne horloge. Dans une maison, si bien organisée qu’elle soit, les ressorts étant des hommes, il y a sans cesse à corriger et à remettre en ordre. Les machines humaines ne peuvent jamais être laissées à elles-mêmes. Si donc vous voulez être bien servi, prenez la peine de bien commander. Agissez beaucoup, comme il convient à une maîtresse de ménage, c’est-à-dire agissez en surveillant et en ordonnant. Mme de Maintenon recommande sans cesse à ses filles le courage ; elle appelle ainsi l’activité domestique. Elle ne veut pas de femmes indolentes et délicates. Que faire de cela dans la famille ? Et de même qu’elle recommande le courage, c’est-à-dire l’activité domestique, elle gourmande la lâcheté. « J’appelle lâcheté, ma chère fille, écrit-elle à une maîtresse de classe, cette recherche continuelle des commodités qui ferait établir des machines qui apportassent toutes les choses dont on a besoin, sans étendre le bras pour les aller prendre, cette frayeur des moindres incommodités comme du vent, du froid, de la fumée, de la poussière, des puanteurs, qui fait faire des plaintes et des grimaces comme si tout était perdu,… cette indifférence que ce qu’on a fait soit bien fait, cette peur d’être grondée qui est la seule chose qui occupe,… ces portes et ces fenêtres mal fermées pour ne pas s’en donner la peine,… cette impossibilité de s’acquitter d’une commission exactement, parce qu’on s’en remet sur la première personne qu’on trouve, sans se soucier jamais du fait,… cette impatience de ne pouvoir attendre en paix… — J’étais en bon train, ma chère fille ; mais je n’ai pu continuer ma lettre. Adieu, je vous donne le bonsoir[1]. »

J’ai copié cette lettre parce qu’elle est pleine du goût du ménage et tout à fait conforme aux maximes de Fénelon sur l’économie domestique. Notez-le bien, l’ordre et la vigilance que Mme de Maintenon veut inspirer à ses filles n’est pas l’ordre minutieux du couvent, c’est l’ordre qui convient au ménage et à la vie de famille. Il est curieux de voir avec quel soin Mme de Maintenon préserve ses filles de toutes les petitesses d’esprit qui sont fréquentes dans les

  1. Lettres sur l’Education, p. 103.