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galanterie, celle des forêts peut-être, mais qui, sauf les formes et le costume, ressemble trait pour trait à la galanterie des salons.

En prenant la femme dans ce prétendu état de nature qu’il a supposé, Rousseau lui a ôté l’égalité qu’elle peut avoir en face de l’homme. — C’est par l’âme, en effet, que la femme est l’égale de l’homme ; par le corps, elle lui est inférieure, puisqu’elle est moins forte, et c’est là, pour le dire en passant, ce qui rend l’état de nature tout à fait chimérique et tristement chimérique ; il ne connaît dans l’homme que l’être brutal ; il oublie l’être moral. Or, encore un coup, la nature de l’homme étant double, n’en prendre que la moitié, c’est la défigurer étrangement. De plus ici, c’est nier l’égalité de la femme, qui ne se soutient devant l’homme que par les prises qu’elle a sur son âme. Cela est si vrai que le plus ou moins de dignité de la femme dans la société dépend du plus ou moins de culture de l’homme. Chez les sauvages, la femme est esclave ; dans les classes grossières, elle est maltraitée ; dans les classes élevées, elle est honorée. Rousseau, qui a pris la femme dans l’état de nature, et par conséquent dans un état d’infériorité, essaie de lui rendre son rang en lui attribuant je ne sais combien de facultés physiques qu’il transforme peu à peu en qualités morales, la pudeur comme frein contre elle-même, le charme et la grâce comme garantie, et comme ascendant envers l’homme ; mais l’effort et l’embarras du paradoxe se sentent dans cette reconstruction qu’il fait de la femme, après avoir commencé par la détruire en supprimant dans l’homme la nature morale.

Fénelon et Mme de Maintenon sont bien plus à leur aise pour conserver à la femme son égalité en face de l’homme : ils commencent en effet par ne pas la lui ôter ; ils ne font point d’histoire naturelle, ils prennent la femme avec sa nature morale, en face de la nature morale de l’homme, et ce qu’ils ajoutent des idées chrétiennes à ces idées d’égalité morale ne fait qu’ajouter encore à l’égalité de la femme, car les femmes sont nos sœurs en Jésus-Christ, qui les a, comme nous, rachetées de son sang et destinées à la vie éternelle. L’égalité de la femme a toujours été une vérité de l’ordre moral ; dans le christianisme, cette vérité est de plus un droit consacré par l’histoire de l’église. Les femmes n’ont pas eu moins de martyres que les hommes, et le ciel n’a pas moins de saints que de saintes, parce que la société des bienheureux est la plus parfaite expression de la société humaine.

Chose singulière, et qui n’est pas cependant tout à fait inattendue pour le moraliste : en partant de l’histoire naturelle et de ce que j’appelle la brutalité, Rousseau arrive à la frivolité de la femme du monde, tandis que Fénelon et Mme de Maintenon, en prenant la