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de première qualité, seront fournis par les clubs aristocratiques pendant les heures où la loi ferme les cabarets et les tavernes. Entrée gratis pour les membres des deux chambres, pour les évêques et pour le clergé. »

Citons-en un dernier : « Allez à l’église ! Lord Robert Grosvenor veut nous forcer à aller à l’église. Allons-y avec lui dimanche prochain. Nous irons le prendre à son hôtel à dix heures et demie, nous irons à l’église avec lui ; puis nous irons dîner, puis nous serons revenus à temps dans Hyde-Park. Ayez soin de venir bien mis, car sa seigneurie est très difficile sur ce chapitre… »

La caricature, toujours puissante en Angleterre, se mit aussi de la partie. Vendu à profusion dans les rues, dans les chemins de fer, dans les bateaux à vapeur, et affiché aux vitres des tavernes, le Punch mettait en regard le luxe du riche et la diète forcée, non pas du pauvre, mais du travailleur. D’un côté, c’est un ouvrier qui, après une excursion du dimanche avec sa femme et ses enfans, essuyant la sueur de son front, s’arrête vainement devant la porte close d’une auberge où il ne rencontre que la figure impassible du policeman ; de l’autre, c’est un comfortable gentleman, lord Robert Grosvenor, si l’on veut, qui déguste tranquillement à son club un verre de hock et d’eau de Seltz.

Nous le répétons, l’aristocratie proprement dite n’avait rien à voir dans le bill du dimanche, et n’en était aucunement responsable. Les promeneurs en voiture qui étaient au parc n’étaient pas des aristocrates, car à Londres pas plus qu’à Paris les gens « comme il faut » ne vont au bois le dimanche. C’est précisément cette circonstance qui donne à la démonstration de Hyde-Park un caractère plus dangereux, car elle prouve que le peuple ne faisait point de distinction entre les différentes espèces de riches, et les confondait tous dans un même sentiment d’hostilité. C’était par hasard que le bill du dimanche s’était trouvé sous le patronage d’un lord, et, comme le disait un journal, lord Derby et lord Palmerston, les deux chefs des deux grands partis dans le parlement, et tous les deux aristocrates jusque dans la moelle des os, auraient de tout leur cœur souhaité lord Robert Grosvenor et son bill dans le fond des tranchées de Sébastopol. Un membre d’un des grands clubs de Londres, qui venait d’être sifflé et hué au parc, écrivait le lendemain au Times : « Dieu sait que mes compagnons et moi, et la majorité de ceux qui se promenaient en voiture, ne demanderaient pas mieux que de rendre le dimanche aussi agréable que possible au peuple ; mais ce sont des mesures imprudentes et maladroites comme celles-là qui font que le peuple, avec sa rude logique, enveloppa les classes supérieures tout entières dans une même inimitié, et les regarde comme, composées d’oppresseurs… Et après tout il ne faut pas trop nous en étonner, quand nous considérons comment la législature s’attache perpétuellement à forcer le peuple à l’observation du dimanche, en laissant au riche la jouissance illimitée de sa liberté le même jour. Ainsi par exemple, en revenant du parc, je suis allé à