Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/455

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les réfugiés. Le gouvernement était prévenu que le dimanche suivant une démonstration devait être faite, non plus seulement dans Hyde-Park, mais dans Pall-Mall, c’est-à-dire dans la région des grands clubs et dans le quartier le plus somptueux de la ville. La majorité de la presse prenait ouvertement le parti des mécontens, et demandait une enquête. Ici nous laissons encore parler le principal journal anglais : « La première impression de tout homme raisonnable, disait-il, est de se demander pourquoi on veut encore faire une démonstration. Le bill du dimanche n’est-il pas rentré dans l’oubli ? C’est vrai, mais ce n’est pas tout. Tous ceux qui ont eu soit un parent, soit un ami, brutalisé par le bâton des policemen brûlent de la soif des représailles. Nous payons les policemen pour protéger nos maisons et nos poches, et non point pour casser nos têtes. Ils sont nos serviteurs et non pas nos maîtres. Il est donc de première importance qu’il soit fait justice a toutes les plaintes légitimes avant que le renouvellement de la lutte n’arrive. Le grief dont le peuple se plaignait dimanche n’existe plus, mais ce jour-là un autre grief a été créé… Ce que le gouvernement a de mieux à faire, c’est de déclarer publiquement, avant qu’il soit trop tard, qu’il sera fait une enquête sérieuse sur la conduite de la police… La vérité est que le gouvernement se trouve dans un mauvais pas, et il a besoin de la plus grande fermeté comme de la plus grande prévoyance pour s’en tirer. Le ministre de l’intérieur a encore quelques heures devant lui pour réfléchir ; ce soir il faudra se décider, et demain se préparer… »

Le soir même, en effet, la question fut reprise dans la chambre des communes. M. Duncombe demanda encore l’enquête. Il demanda ce qu’on avait fait des soldats arrêtés dimanche dans la foule. « Si ces soldats, dit-il, se sont rendus coupables d’un délit civil, ils ne doivent être traduits que devant un tribunal civil. Qu’un homme porte un habit rouge, ou qu’il porte une veste ou une blouse, pour un délit civil il n’est justiciable que d’un tribunal civil. » M. Duncombe se mit ensuite à justifier la conduite du peuple, qui, disait-il, serait resté paisible, si on ne l’avait pas provoqué, et il répéta que le dimanche suivant les rassemblemens devaient avoir des armes.

Le ministre de l’intérieur fit comme avait fait lord Grosvenor. Le jeudi il avait refusé l’enquête, le vendredi il l’accorda, il la promit pleine et entière. La séance ne se passa pas sans une scène que nous devons signaler, parce qu’elle est caractéristique et du pays et de la situation. Un membre de la chambre, M. Dundas, qui avait été le témoin des désordres de Hyde-Park, prit la défense de la police, traita les émeutiers de canaille, et suggéra que la meilleure réponse à leur faire était le canon. « J’ai vu, dit-il, la police refouler toute cette canaille derrière les grilles. Sans doute il a bien fallu user de la force. J’ai vu un homme avec une entaille sur la figure, qui en faisait beaucoup de tapage ; mais nous savons tous qu’il faut bien peu de sang pour faire de l’étalage. » Interrompu ici par quelques murmures, l’honorable