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but inconnu. Et comme cette organisation s’étend à toute la Catalogne, l’agitation qui naît sur un point se manifeste partout en même temps. C’est ce qui arrive aujourd’hui. Un autre fait rend ce mouvement plus redoutable, c’est que depuis la révolution de 1854 la milice nationale est composée tout entière de cet élément populaire. Aussi a-t-on vu récemment la milice refuser de marcher contre les ouvriers. Il y a longtemps que cette terrible question existe en Catalogne. La révolution dernière est venue lui donner un caractère nouveau de gravité, et peut-être les autorités qui se sont succédé à Barcelone ont-elles contribué à laisser empirer cet état de choses. M. Madoz surtout, qui a été gouverneur de Barcelone après la révolution de juillet, a peut-être sa part de responsabilité. M. Madoz aime la popularité, et son système était de traiter avec les ouvriers, de les flatter, de leur faire des concessions. Il assistait même à leurs conciliabules, et un jour, dit-on, il put entendre l’étrange proposition d’égorger cent fabricans. Il s’en indigna en honnête homme ; mais c’était un indice de l’esprit de ses alliés. Quand la situation ne fut plus tenable, M. Madoz se retira, comme il vient de se retirer du ministère des finances. On voit aujourd’hui le résultat. Pour réprimer un ici mouvement, il faudrait des mesures vigoureuses. La première serait la dissolution de la milice nationale, une autre serait une loi qui n’existe pas, sur les coalitions. Il y aurait surtout à fortifier les tribunaux. Aujourd’hui il n’y a qu’un juge : dès qu’un homme dangereux se présente, le juge acquitte, parce qu’il craint d’être assassiné.

Mais ces mesures nécessaires pour la pacification de la Catalogne, le gouvernement les adoptera-t-il ? Malheureusement, dans le partage du pouvoir entre le ministère et les cortès, c’est à qui n’agira point, à qui évitera de prendre une responsabilité. On vient de le voir tout récemment, une commission des ouvriers catalans est allée à Madrid. Le duc de la Victoire a d’abord refusé de la recevoir, puis il a écouté ses doléances, et il vient d’envoyer à Barcelone un de ses aides de camp avec une lettre où le chef du cabinet semble ménager encore ces étranges perturbateurs. Ce n’est point, à coup sûr, qu’Espartero pactise avec eux ; mais il parle comme un homme qui veut rester populaire. L’effet de cette lettre a été peu favorable à Barcelone, et pendant ce temps on expédie de Madrid des troupes vers la Catalogne. Là, comme sur tous les points, il n’y a d’autre salut pour l’Espagne que dans un pouvoir qui se décide enfin à rétablir la sécurité ébranlée, et à mettre un frein à tout ce déchaînement d’instincts révolutionnaires.

CH. DE MAZADE.

V. DE MARS.