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son développement esthétique dans les mêmes conditions que la France et l’Allemagne ; mais deux choses lui manquent pour l’épanouissement complet de ses facultés dans le domaine de la statuaire et de la peinture : une religion poétique et l’intervention de l’état. Pour tous ceux en effet qui ont suivi le développement des arts du dessin, il est hors de doute que la loi catholique se prête mieux que la religion protestante à l’expression plastique de la beauté. Quant à l’intervention de l’état, elle me semble indispensable dans les grands travaux. Lors même que le goût deviendrait populaire dans toutes les classes de la nation, lors même qu’au goût du beau viendrait s’ajouter une prospérité générale, les encouragemens individuels ne pourraient jamais remplacer les encouragemens publics.

Toutes ces idées sont depuis longtemps familières aux hommes qui s’occupent des questions esthétiques ; cependant je ne crois pas inutile de les rappeler. L’école anglaise n’est pas aujourd’hui ce qu’elle pourrait être, si elle ne devait pas se borner à travailler pour les particuliers. Possédât-elle un peintre de premier ordre, habile à concevoir, habile à exécuter les plus hardies, les plus grandes compositions, comment ce peintre arriverait-il à réaliser sa pensée ? Et lors même qu’il trouverait dans son caractère assez d’énergie, dans son patrimoine assez de ressources pour accomplir son vœu le plus ardent, pour faire de son rêve une œuvre splendide, que deviendrait son œuvre ? Par qui serait-elle acquise ? On me répondra peut-être que les grandes fortunes ne manquent pas de l’autre côté de la Manche ; mais, hélas ! en Angleterre comme en France, les amateurs ont souvent plus de vanité que de lumières. Ils achètent volontiers sans marchander les tableaux dont la renommée est depuis longtemps consacrée, parfois même des copies qu’ils prennent pour des originaux. Quand il s’agit d’une œuvre nouvelle, ils se font prier ou subordonnent leur générosité à des convenances d’ameublement. D’ailleurs l’or ne suffit pas pour élargir le domaine de l’art : il achète ce qui est fait et ne suscite pas des pensées nouvelles, des pensées qui, pour se traduire, ont besoin d’un vaste espace. C’est à l’état seul que ce rôle appartient. Qu’il y ait en Angleterre quelques Mécènes aussi éclairés qu’opulens, je le veux bien ; qu’ils unissent le discernement à la générosité, je consens à le croire : ils ne peuvent pourtant jouer le rôle de l’état. Turner est mort quatre fois millionnaire. Pour les hommes de notre temps, c’est là sans doute un terrible argument. Un peintre qui peut gagner par son travail une pareille somme devrait fermer la bouche à tous ceux qui se permettent d’affirmer l’insuffisance des encouragemens individuels. Cependant, si l’on veut prendre la peine de réfléchir pendant quelques instans, ce terrible argument change bientôt d’aspect. La question en effet n’est pas de savoir si les peintres peuvent s’enrichir en Angleterre, mais