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l’inspiration qu’ils n’ont pu trouver sur les bords de la Tamise. Je ne veux pas dire que leur espérance ait été complètement déçue ; cependant, s’ils ont quelquefois rencontré la grâce, ils n’ont pas encore atteint jusqu’à la grandeur. Après quinze ou vingt ans passés loin de leur pays, ils n’ont pas encore réussi à se faire Italiens par la pensée. Sur les bords du Tibre, ils gardent fidèlement toutes les habitudes prises avant le départ. Je reconnais volontiers tout ce qu’il y a de louable et de courageux dans les efforts tentés par les sculpteurs anglais pour dépaysée leur intelligence, pour donner à leur imagination un accent méridional : mais l’estime que m’inspire une entreprise poursuivie avec tant de persévérance ne ferme pas mes yeux à la froideur qui domine dans la plupart de leurs compositions.

En ce qui touche la sculpture, il faut rendre pleine justice à l’aristocratie anglaise : elle supplée autant qu’il est en elle les encouragemens publics dont cette forme de l’art ne saurait se passer, elle paie généreusement les travaux accomplis dans cette voie difficile ; mais elle a beau faire, elle a beau prodiguer les guinées, elle ne réussit pas à changer la nature des choses. Malgré sa générosité bien connue, la sculpture en Angleterre demeure fort au-dessous de la peinture. Pourquoi les compatriotes de Shakespeare comprennent-ils la couleur beaucoup mieux que la forme ? Je n’essaierai pas de l’expliquer : je me borne à constater un fait qui frappe tous les yeux.

Malgré cette infériorité bien marquée dans la sculpture, l’Angleterre sollicite notre attention par quelques ouvrages d’un ordre élevé. Si elle n’a pas touché le but, ce n’est ni le courage ni le bon vouloir qui lui ont manqué. Parmi les sculpteurs anglais dépaysés, le premier qui s’offre à nous est M. Gibson. Tous ceux qui ont visité Rome savent qu’il n’a rien négligé pour se faire Italien. Ce qu’on ne peut lui contester du moins, c’est un sentiment de l’harmonie linéaire qui n’existe guère chez ses compatriotes. Le Chasseur qu’il nous a envoyé est une figure étudiée avec soin, dont les moindres morceaux ont été caressés ; mais elle est plutôt gracieuse que virile, et, sous ce rapport, elle ne satisfait pas aux conditions du sujet. L’expression du visage ne manque pas de hardiesse ; quant au torse, quant aux membres, ils n’ont rien de mâle, rien qui rappelle l’exercice de la chasse, l’image de la guerre. Pour tous ceux qui connaissent le Méléagre, placé au Vatican, il est évident que M. Gibson s’en est préoccupé en modelant sa figure, et, pour ma part, je suis loin de le blâmer. À mon avis, il a très bien fait de consulter le Méléagre. Ce que je lui reprocherais plutôt, ce serait de ne l’avoir pas étudié assez attentivement, car la poitrine du Méléagre est bien autrement virile, bien autrement puissante que la poitrine du Chasseur de M. Gibson ; elle offre des masses musculaires hardiment divisées que